Artéfacts publics et partagés dans les CLAAC : leur rôle dans l’orchestration par les enseignants et l’apprentissage des étudiants

Elizabeth S. Charles, enseignante, Collège Dawson ; Kevin Lenton, enseignant, Collège Vanier ; Michael Dugdale, enseignant, Collège John Abbott ; Nathaniel Lasry, enseignant, Collège John Abbott ; Chris Whittaker, enseignant, Collège Dawson ; Rhys Adams, enseignant, Collège Vanier et Chao Zhang, assistante de recherche

 

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Les classes d’apprentissage actif (CLAAC) sont une manière innovante de concevoir des espaces éducatifs (Hod, 2017) pour soutenir les pédagogies centrées sur l’étudiant ou l’étudiante. Les pédagogies centrées sur l’étudiant ou l’étudiante, telles que l’apprentissage actif (AA), mettent l’accent sur un apprentissage collaboratif où les résolutions de problèmes et l’acquisition de connaissances se font de manière collaborative. Les CLAAC se caractérisent par un mobilier qui offre une plus grande flexibilité pour l’aménagement des sièges et par des espaces de travail facilitant la collaboration. Elles contiennent souvent des modules de bureaux et de chaises mobiles ou des tables de conférence pour accueillir le travail de groupe, ainsi que de grandes surfaces où l’on peut écrire (généralement des tableaux blancs pour une salle de classe sans technologie et des tableaux blancs interactifs pour une salle de classe avec technologie) à l’usage exclusif des étudiants et étudiantes (voir les figures 1 et 2).

Le but de cet article est 1) de fournir aux équipes enseignantes des connaissances de base sur les raisons pour lesquelles elles pourraient souhaiter utiliser la pédagogie de l’AA ; 2) d’offrir des conseils et présenter les meilleures pratiques pour l’utilisation des CLAAC, sur la base des résultats de nos recherches (Charles et al., 2022) ; et 3) de suggérer différentes façons de se préparer à utiliser ces nouveaux espaces. Nous commençons par fournir une brève description de la pédagogie de l’AA.

Pédagogie de l’apprentissage actif et de l’apprentissage social

La pédagogie de l’AA décrit une philosophie d’enseignement qui place les étudiants et étudiantes au centre de l’expérience pédagogique. Des approches telles que l’apprentissage par problèmes, l’apprentissage par projet et l’apprentissage par enquête sont toutes des exemples d’AA. Mais la pédagogie de l’AA peut prendre la forme de stratégies didactiques plus simples comme Pensez-Partagez-Présentez ou l’apprentissage coopératif par casse-tête, pour ne nommer que celles-là.

La recherche confirme les avantages de la pédagogie de l’AA : des améliorations importantes des résultats aux examens (Lasry et al., 2014) et des taux d’échec inférieurs pour les étudiantes et étudiants qui sont traditionnellement sous-représentés dans les sciences, les technologies, l’ingénierie et les mathématiques (STIM) (Freeman, et al., 2014; Theobald, et al., 2020). Bien que ces résultats concernent spécifiquement les matières scientifiques, cette pédagogie montre une amélioration de la pensée critique, de la motivation et des compétences de communication, quelle que soit la discipline étudiée. En bref, la pédagogie de l’AA présente de nombreux avantages pour améliorer les résultats d’apprentissage et constitue une pédagogie précieuse pour l’enseignement.

L’efficacité de la pédagogie de l’AA dépend toutefois du degré d’engagement des étudiants et étudiantes dans le processus d’apprentissage (Prince, 2004). Le degré et la qualité de l’engagement, à leur tour, dépendent de la conception de l’activité d’apprentissage, c’est-à-dire des tâches que les étudiants et étudiantes doivent accomplir. Idéalement, cet engagement se concentre à la fois sur les plans social et cognitif : 1) accroitre l’apprentissage par le biais de processus sociaux lors de la réalisation des tâches en collaboration ; et 2) approfondir la réflexion par le biais de processus cognitifs, lors de tâches collaboratives ou individuelles.

Alors qu’on a souvent demandé aux enseignants et enseignantes de concevoir des devoirs pour approfondir l’apprentissage, les pédagogies d’AA exigent explicitement que les enseignants et enseignantes deviennent également les concepteurs et conceptrices de l’expérience d’apprentissage en classe. De plus, dans un rôle de conception d’expériences d’AA, les enseignants et enseignantes doivent désormais se concentrer à la fois sur les aspects cognitifs et sociaux de l’enseignement. Sur le plan cognitif, les activités doivent demander aux étudiants et étudiantes d’activer leurs connaissances antérieures, de recueillir et d’analyser des données ou des informations, de résoudre des problèmes et de réfléchir en profondeur à leurs propres apprentissages. Sur le plan social, les activités doivent promouvoir l’apprentissage collaboratif et l’engagement collectif. Souvent négligée, la recherche nous dit que ce travail nécessite que les personnes apprenantes construisent un « espace de problèmes communs » (Roschelle et Teasley, 1995). Cela est souvent réalisé sous la forme d’espaces de travail partagés tels qu’un tableau blanc de groupe. De plus, ces types d’engagement de la part des étudiants et étudiantes se traduisent normalement par des artéfacts matériels qui documentent la progression du travail et le produisent : solutions écrites, cas analysés, assortiment de feuilles de calcul ou de collages, cartes conceptuelles, etc. L’importance de ceux-ci sera révélée sous peu.

Le degré et la qualité de l’engagement, à leur tour, dépendent de la conception de l’activité d’apprentissage, c’est-à-dire des tâches à accomplir. Bien que développer une expertise en AA demande du temps et un développement itératif, nous pensons que tout le personnel enseignant peut apprendre à concevoir de meilleures activités d’AA, ce qui rendra plus efficace son utilisation des CLAAC.

Nouveaux rôles pour le personnel enseignant et implications pour l’utilisation des CLAAC

Avec l’importance que l’AA accorde à la conception d’activités en classe pour promouvoir l’engagement des étudiants et étudiantes, on met davantage l’accent sur la façon dont le personnel enseignant gère ces activités. À la manière d’un chef d’orchestre, l’enseignant ou l’enseignante doit avoir une vision claire de l’objectif de l’activité, une bonne compréhension de ce qu’elle implique pour tout le groupe, et un plan de coordination in situ de l’ensemble (gestion du temps et travail de groupe). C’est ce qu’on appelle « l’orchestration » (Dillenbourg, 2013). De plus, l’orchestration implique de gérer à la fois les aspects cognitifs et sociaux des activités conçues, les tâches associées et les ressources requises. Ce travail devient particulièrement important et complexe lorsque l’enseignement se déroule dans l’écosystème d’une CLAAC.

L’utilisation desaffordances dans les CLAAC

Les technologies utilisées dans les CLAAC peuvent être classées en deux grands types : les salles de classe avec technologie numérique (high-tech) et les salles de classe sans technologie numérique (low-tech). Dans les CLAAC low-tech, les technologies analogiques sont généralement des marqueurs effaçables sur des tableaux blancs. Dans les CLAAC high-tech, les technologies numériques sont généralement interactives, mais presque toujours mises en réseau – par exemple, des tableaux blancs interactifs, des écrans à grande échelle diffusant des travaux effectués par le groupe sur des ordinateurs de bureau ou des portables.

Quelle que soit la technologie utilisée dans les CLAAC, notre équipe de recherche a fait une observation importante : les artéfacts générés par le groupe travaillant dans un espace de problèmes commun sont généralement visibles à l’enseignant ou à l’enseignante et aux autres étudiants et étudiantes (voir la figure 3). Nous considérons que cette fonctionnalité rend les artéfacts partagés « publics » et nous pensons que ceux-ci jouent un rôle important dans l’apprentissage en CLAAC et dans l’orchestration de l’AA, quelle que soit la discipline (voir Charles et al., 2022).

En bref, notre étude, qui repose sur 157 observations par 19 enseignants et enseignantes de cégep dans 8 disciplines, montre que l’enseignement de l’AA implique généralement un travail de groupe, et que ces activités produisent généralement des artéfacts physiques. Dans la plupart des cas, la construction de ces artéfacts partagés est un signe clair de l’engagement étudiant, menant à des discussions et à une recherche de sens au sein des groupes.

La figure 3 montre un groupe travaillant à produire un artéfact réutilisable dans un cours de physique. Dans le prolongement de ce type d’activité, les membres du groupe dessinent des diagrammes de corps libres inspirés de situations réelles (par exemple, une collision entre deux véhicules) choisies par les étudiants et étudiantes, générant plusieurs séries de raffinements de la figure et suscitant chaque fois un débat et une clarification des concepts. À la fin de l’activité, les étudiants et étudiantes du groupe avaient eu l’occasion de discuter de leur compréhension et étaient parvenus à une compréhension commune, c’est-à-dire à un consensus sur la façon de dessiner la figure. Dans ce processus, ils et elles avaient utilisé à plusieurs reprises les figures du tableau pour expliquer leur compréhension actuelle (souvent des malentendus) et avaient redessiné des parties de la figure à mesure que cette compréhension s’améliorait, pour arriver à un diagramme de corps libre correctement dessiné. Notamment, lorsque le groupe se trouvait dans une impasse, l’enseignant ou l’enseignante semblait souvent fournir des éclaircissements. C’était typique des mouvements d’orchestration que nous avons observés dans les CLAAC, et en particulier dans les CLAAC high-tech où tous les tableaux blancs interactifs sont visibles de n’importe où dans la salle.

Les artéfacts publics comme outils d’orchestration

Dans de nombreux cas, nous avons observé dans notre étude que les artéfacts partagés et publics étaient utilisés pour évaluer l’engagement ainsi que le processus du groupe, c’est-à-dire sa capacité à comprendre et à accomplir les tâches. Cette pratique avait cours dans les deux types de CLAAC, high-tech et low-tech, mais a été plus prononcée dans les salles de classe équipées d’écrans numériques, car ils sont faciles à voir, même de l’autre côté de la pièce. L’aménagement de certaines CLAAC high-tech avait été spécialement pensé dans cet esprit (voir figure 1). Dans ces cas, lorsque les écrans muraux fournissaient une vue dégagée des artéfacts de travail, les enseignants et enseignantes les utilisaient pour surveiller les progrès du groupe et la progression de l’activité ou du plan de cours. Un enseignant de notre étude avait ceci à dire :

Je me souviens de quand j’ai commencé dans les salles « couvertes de tableaux blancs » et que je voulais voir le travail sur les tableaux pour mieux m’aider. Cela m’a en effet aidé à orchestrer et à avoir plus confiance en mon plan de cours. J’accélérais le tempo quand une question était beaucoup trop facile, puis je fournissais des indices (ou un « étayage ») quand je voyais des étudiants et étudiantes débattre d’un problème, ou alors je donnais simplement un « temps mort » [à la classe] et revoyais le contenu pendant cinq minutes [traduction libre de l’anglais].

Des artéfacts publics partagés ont également été utilisés par certaines équipes pour gérer leur propre travail. Ayant une vue dégagée sur le travail des autres équipes, au fil du temps et suivant parfois les encouragements spécifiques de l’enseignante ou de l’enseignante en ce sens, les étudiants et étudiantes ont pris l’habitude de vérifier ce que faisaient leurs collègues des autres équipes. Par exemple, nous avons observé des cas où un étudiant d’un groupe regardait autour de lui d’autres tableaux blancs dans le but de comparer le travail de son groupe à celui de l’autre. Dans certains cas, il se rendait compte qu’il était sur la voie d’une solution, dans d’autres, qu’il faisait fausse route. Ce suivi des progrès a permis le développement de compétences liées à la capacité d’autoévaluation, ce qui comprend la compréhension des critères et des normes associés à la production d’artéfacts acceptables. Dans de nombreux cas, de telles pratiques ont été encouragées. Lorsque nous avons demandé à un enseignant ce qu’il pensait de cette pratique, il a répondu :

Ce qui n’était pas évident pour moi au début, c’est la façon dont les étudiants et étudiantes ont commencé à regarder subrepticement vers les autres tableaux. Au début, ça m’agaçait parce que j’avais l’impression qu’ils essayaient de tricher, mais j’ai vite réalisé que la taille de l’équipe pendant le travail de groupe ne faisait que grossir. Non seulement les étudiants et étudiantes consultaient leurs collègues au sein de leur équipe, mais nous avions ensuite des équipes qui consultaient d’autres équipes, au point que presque toute la classe était prête à demander le « temps mort » parce que tout le monde était perplexe ! Au fur et à mesure que je devenais plus confiant en mon orchestration, j’ai commencé à valoriser davantage cet aspect, c’est-à-dire que j’accordais plus de valeur au travail en grandes équipes qu’à mes clés d’orchestration [traduction libre de l’anglais].

L’entraide manifestée entre les équipes, que l’on peut voir comme une façon de « prendre des pairs pour modèles », est une partie importante de l’apprentissage collaboratif et est largement utilisée dans la conception d’activités pour l’enseignement de l’AA. Lorsque des pairs montrent à d’autres pairs comment résoudre le problème ou comment aborder une tâche de pensée critique, l’expérience devient une occasion d’apprentissage pour les deux groupes (Vygotsky, 1930/1978). Notre recherche montre à penser que les artéfacts publics contribuent à prendre pour modèles ses pairs et soutiennent l’apprentissage dans les CLAAC, tant pour le groupe qui produit l’artéfact que pour les autres groupes de la classe. Ainsi, nous pensons que ces artéfacts peuvent expliquer pourquoi l’apprentissage était plus concret dans les CLAAC qui utilisaient l’AA, en particulier dans celles dont la conception facilite l’accès et la visibilité entre les équipes.

Leçons apprises

Grâce à l’adoption de pédagogies d’AA centrées sur l’étudiant ou l’étudiante, le personnel enseignant se concentre sur la conception d’activités pour susciter l’engagement étudiant à la fois dans le contenu et dans le travail de groupe. Ainsi, l’activité encouragera souvent les étudiants et étudiantes à produire un type d’artéfact physique – solution au problème, carte conceptuelle, etc. Nos recherches montrent que ces artéfacts sont un élément essentiel pour favoriser l’engagement étudiant, aiguiser la curiosité et encourager les débats et les explications, ce qui conduit à un apprentissage plus approfondi. De plus, lorsque les pédagogies d’AA sont utilisées dans les CLAAC, les artéfacts sont à la fois partagés (produits par des groupes) et généralement publics. Cette fonctionnalité fournit aux corps enseignants des informations essentielles sur l’apprentissage de leurs étudiants et étudiantes et permet une gestion plus efficace du plan de cours, notamment en leur indiquant quand fournir des commentaires et quand laisser le groupe réfléchir un peu plus longtemps. Essentiellement, les artéfacts partagés et publics deviennent un outil permettant d’orchestrer le flux de l’enseignement en AA.

Les artéfacts sont la preuve matérielle du travail de réflexion mené par les étudiants et étudiantes au service des apprentissages. Les artéfacts ont un objectif différent en pédagogie active et en CLAAC. Non seulement ils sont une preuve d’apprentissage en tant que produit à évaluer, mais ils sont également une preuve de l’engagement des étudiants et étudiantes, des progrès de leur apprentissage, et ils peuvent être utilisés par le personnel enseignant pour orchestrer et gérer des activités d’AA ainsi que le travail d’équipe. Nous croyons qu’ils sont au cœur de l’enseignement par une pédagogie active en ce qu’ils permettent la documentation des apprentissages étudiants, devenant ainsi des ressources et des outils d’apprentissage à part entière pour les pairs.