Les méchants problèmes qui font réussir

L’acquisition des compétences par la résolution d’un problème d’envergure en situation authentique

David Beaulieu, professeur et Julie Roberge, Cégep André-Laurendeau

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En 2019, des étudiants et étudiantes du programme de Technologie du génie physique du cégep André-Laurendeau m’ont accompagné dans une mission scientifique d’observation des changements climatiques sur un glacier. Pour s’y préparer, ils ont dû fabriquer un instrument de mesure qui leur a demandé de mobiliser l’ensemble des compétences apprises dans leur programme d’études. Créer cet instrument de mesure a poussé ces étudiants à dépasser l’atteinte des compétences dans plusieurs des cours de leur programme. Certains ont même avoué avoir réussi à terminer leur programme d’études grâce à ce projet. D’autres se sont découvert une vocation ou ont décidé de poursuivre des études universitaires dans un domaine connexe. J’ai fait le même constat l’année suivante, lorsque des étudiants et étudiantes du même programme ont assisté notre équipe de recherche dans le développement d’une technologie basée sur l’intelligence artificielle permettant de mesurer la distanciation physique entre les individus dans le contexte de la pandémie de COVID-19. Qu’ont en commun ces deux projets qui semblent pourtant si différents? Et surtout, pourquoi ont-ils été si efficaces à mener les participants vers leur réussite éducative? Ces réflexions nous ont poussés, ma collègue Julie Roberge et moi, à approfondir la question pour comprendre ce qui avait tant stimulé leur motivation. Notre intuition nous porte à croire que le type d’enjeux abordés dans ces deux projets périscolaires et leur approche en situations authentiques ont eu un impact majeur sur l’intérêt des étudiants et étudiantes et qu’il faut réfléchir à leur implantation dans les cours à portée scientifique et technique.

Donner du sens aux apprentissages

Dans ces deux projets, comme professeur au Département de technologie du génie physique au Cégep André-Laurendeau, j’ai tout d’abord voulu montrer à mes étudiants et étudiantes le sens et l’utilité que pouvaient avoir les compétences de leur programme d’études. J’ai donc ciblé des enjeux qui les touchent et les préoccupent, comme les changements climatiques et la pandémie de COVID-19. Ensuite, j’ai cherché des solutions basées sur les compétences de leur programme d’études. J’avais fait le pari que mes étudiants réaliseraient ainsi l’importance de ce qu’on leur apprend dans leur programme et qu’ils auraient envie d’apprendre, parce que cela leur permettrait de jouer un rôle actif, même minime, dans la résolution de ces enjeux. Si mes intuitions se sont avérées justes, j’ai été surpris par l’ampleur de l’impact positif sur mes étudiants et sur leur réussite.

Ce que les deux projets avaient en commun était justement leur portée sociétale d’envergure et presque insoluble, ainsi qu’une certaine difficulté à bien les définir et à les circonscrire. Il s’agissait de deux enjeux qui préoccupaient profondément les étudiants et pour lesquels ils n’avaient pas de solution prédéfinie. En ayant la chance de participer à trouver une solution possible, en contexte authentique, sur le terrain, les étudiants et étudiantes ont retrouvé leur pouvoir d’agir sur des situations qui leur apparaissaient autrement paralysantes.

Pourquoi avoir choisi ces deux problèmes à résoudre?

Les deux problèmes proposés peuvent être considérés comme un wicked problem, soit un «méchant problème», un «problème vicieux» (INSPQ), un «problème malicieux, vicieux ou méchant» (Fréchin, 2019), ou une «question scientifique socialement vive» (Bizier, 2020), le wicked problem n’ayant pas encore de traduction française officielle. Il s’agit de cas difficilement objectivables, pour des raisons culturelles ou sociales, ou parce que les connaissances sur le sujet sont incomplètes ou contradictoires, ou par le nombre de personnes impliquées ou par leur poids économique important sur l’ensemble des sociétés (Fréchin, 2019). Il s’agit d’un problème complexe qui n’a pas de solution évidente, qui relève de plusieurs disciplines à la fois et qui peut susciter des inquiétudes chez les individus : les changements climatiques, les pandémies, la pauvreté, l’accès à l’eau potable dans certains pays, les guerres territoriales ou la perte d’espaces verts sur la planète (Maxwell et Blanski, 2016). On peut facilement penser aux changements climatiques comme exemple de problèmes complexes, dont les enjeux dépassent souvent l’entendement et qui peuvent apparaitre comme étant impossibles à régler pour plusieurs. Il s’agit pourtant d’un problème qui nous touche tous et chacune et dont les conséquences peuvent paraitre dramatiques. La pandémie de COVID-19 est un problème très différent, mais qui répond aussi, à sa façon, à cette description.

Le wicked problem en éducation

L’utilisation du wicked problem en éducation est délicate vu la gravité des problèmes et du sentiment d’impuissance qu’il peut provoquer chez les personnes. Il est donc important de l’aborder en «mode solution». Pour amener les étudiants et étudiantes à trouver des solutions, il faudra l’aborder par un apprentissage actif qui «prend appui sur des activités d’application, d’analyse et d’autoévaluation qui s’inspirent de contextes réels et signifiants» (MES, 2021, p. 56). On comprendra que l’apprentissage en situation authentique prend ici tout son sens. L’impact de l’utilisation des wicked problems en situation authentique d’apprentissage, sur la réussite éducative, nous intéresse tout particulièrement (Beaulieu et Roberge 2022).

Pourquoi la situation authentique?

Si la preuve de l’utilité de la situation authentique sur la motivation et l’engagement scolaires n’est plus à faire (Duval et Pagé, 2013), elle joue un rôle particulier lorsque l’on traite des problèmes ou des situations potentiellement « paralysantes » tels que les changements climatiques et la pandémie de COVID-19. C’est pour cela que de les aborder en mode actif de recherche de solutions concrètes est préférable, ce que permet la situation authentique. Il est facile de s’imaginer des étudiantes et étudiants déprimés et anxieux d’avoir entendu parler pendant des heures de la situation alarmante liée aux changements climatiques. Imaginez plutôt des étudiants qui abordent les changements climatiques à travers le développement d’un instrument de mesure qui permet de collecter des données exclusives, utilisées par une équipe de recherche sur les changements climatiques. Ces données permettent non seulement de mieux comprendre les changements climatiques dans leur globalité, mais permettent spécifiquement de prédire la fonte d’un glacier en particulier et de prévoir des mesures de contingence pour les populations qui habitent en aval. Dans cet exemple, les étudiants ont appliqué des solutions concrètes à un problème réel et actuel qui les touche. Difficile de faire plus authentique! En abordant le problème en situation authentique, le projet leur a donc permis de faire partie de la solution et ainsi de retrouver leur pouvoir d’agir sur une situation autrement très anxiogène et paralysante.

On pourrait dire la même chose des personnes ayant participé au projet en intelligence artificielle appliqué à la distanciation physique en temps de pandémie. Elles ont participé au développement et aux premiers essais d’une nouvelle technologie permettant, grâce à l’intelligence artificielle et à la vision 3D, de mesurer la distance entre les gens, et de l’afficher en temps réel sur un écran géant (figure 1). Mis à part le personnel de certains secteurs comme les soins de santé et les services sociaux, peu de gens ont eu le sentiment de travailler sur des solutions concrètes pour freiner la propagation du virus pendant la pandémie de COVID-19. C’est pourtant exactement ce qu’a vécu la cohorte étudiante du cégep André-Laurendeau ayant participé à ce projet (Beaulieu, 2021; 2022).

 

Dans les deux exemples, les étudiants se sont retrouvés face à deux problèmes en apparence insolubles. Pourquoi cela les a-t-il tant motivés? Sans doute parce qu’il s’agit de deux problèmes qui les touchaient profondément et parce qu’ils ont eu la chance de proposer des solutions, si minimes soient-elles.

Une pratique à impact élevé en enseignement

Selon Lavoie, un des critères d’une pratique à impact élevé en enseignement supérieur est d’être « [basé] sur une méthode pédagogique qui présente un apprentissage actif et collaboratif pour générer des apprentissages en profondeur et contextualisés, diversifiée et adaptée au programme d’études »
(Lavoie, 2021, p. 56-57).

Nous croyons que l’utilisation des situations authentiques basée sur des problèmes qui créent des inquiétudes chez les jeunes constitue un parfait exemple de ce type de pratique à impact élevé dont parle Lavoie.

Lorsqu’on traite de ces problèmes en situation authentique, cela génère la motivation des étudiants et étudiantes qui y voient une chance de travailler à trouver des solutions concrètes à un enjeu qui les préoccupe. Cette motivation vécue par les étudiants crée leur engagement dans leurs études puisqu’elle est directement liée à l’acquisition des compétences de leur programme d’études dans le but de trouver une solution au problème posé par l’enseignant ou l’enseignante. Cet engagement est lui-même maintenu dans le temps grâce au sens que lui donne la nature du problème puisque la pertinence de l’enjeu sociétal choisi ne s’estompe pas avec le temps. Cet engagement soutenu ou maintenu de l’étudiant envers ses études le mène à sa réussite éducative.

Le lien avec le programme d’étude

Pour que toute cette motivation et ce sentiment de capacité d’agir mènent à la réussite éducative, encore faut-il qu’ils mènent à l’acquisition des compétences du programme d’études. C’est ici qu’il faut être judicieux dans le choix des problèmes à résoudre et du type de solutions qu’on amènera les étudiants à développer.

Dans le programme de Technologie du génie physique dans lequel j’enseigne, les étudiants et étudiantes développent un ensemble de compétences en physique appliquée, en électronique et en informatique qu’ils peuvent intégrer dans la conception et la fabrication d’instruments de mesure variés. Il était donc avisé d’aborder le sujet des changements climatiques à travers la mesure de différents phénomènes physiques comme les phénomènes météorologiques ou encore la variation de l’épaisseur de la croute glaciaire ou neigeuse. Il fallait aussi que les données ainsi récoltées servent à résoudre des problèmes concrets en lien avec les changements climatiques, par exemple, pouvoir mesurer et prédire la vitesse de fonte d’un glacier en particulier. La conception et la fabrication d’une station météorologique est l’objet d’un cours de troisième année. Les étudiants ayant participé à ce projet ont dû dépasser les objectifs du cours pour la rendre autonome et portative. Par la suite, nous sommes allés l’installer sur un glacier au Pérou afin de récolter des données climatiques sur l’environnement de ce dernier (figure 2).

 

Dans le cas de la pandémie de COVID-19, le respect de la distanciation physique a rapidement été reconnu comme une méthode efficace pour ralentir la propagation du virus. Développer un instrument capable de mesurer cette distance, en utilisant un système de vision par ordinateur et assisté par l’intelligence artificielle, permettait encore une fois d’aborder le problème de la pandémie par le développement d’une solution technologique à sa propagation. C’est à travers leurs projets de fin d’études et la réalisation d’un stage d’assistant de recherche que nos étudiants ont participé à ce projet.

Dans ces deux cas, les étudiants devaient maitriser plusieurs des compétences clés de leur programme d’études afin d’être en mesure de développer ces solutions.

Conclusion

La nécessité est la mère de toutes les inventions. La preuve en est la construction de la station météo pour récolter des données sur la fonte d’un glacier et l’instrument de mesure de la distance physique entre les individus demandée en temps de pandémie. Lorsque la situation le requiert réellement, l’engagement cognitif des étudiants et étudiantes est au rendez-vous, propulsé par la motivation de résoudre un probme concret ou de combler un besoin criant. Le monde est rempli de ces enjeux qui nous préoccupent. Utilisons-les pour redonner du sens à ce que nous demandons à nos groupes. Plaçons nos étudiants et nos étudiantes dans une position où ils renoueront avec leur capacité d’agir en participant à la recherche de solutions concrètes à ces enjeux. La motivation et l’engagement qu’ils auront à participer à la recherche de solutions les mèneront à la réussite éducative, non pas dans le but de réussir leurs études, mais dans le but de vaincre ces « méchants problèmes »!

 

Références

Beaulieu, D. et Roberge, J. (2022). Le wicked problem pour engager les étudiants dans leurs études. Pédagogie collégiale, 35, 36-13.
https://eduq.info/xmlui/bitstream/handle/11515/38351/Revue-Printemps2022-Vol.35-3_BeaulieuRoberge.pdf

Beaulieu, D. (2021). Former une relève en intelligence artificielle en contexte de pandémie. Pédagogie collégiale, ( 34)2, 13-19.
https://eduq.info/xmlui/bitstream/handle/11515/38109/beaulieu-34-2-21.pdf

Beaulieu, D. (2022). Transfert de connaissances entre cégeps en Technique du génie physique. Portail Eductive. https://eductive.ca/ressource/transfert-de-connaissances-entre-cegeps-en-technologie-du-genie-physique/

Bizier, N. (2020, hiver). Les questions scientifiques socialement vives. Des controverses pour donner du sens aux apprentissages et pour réfléchir sur les rapports aux savoirs, Pédagogie collégiale, 33(2), 11-16. https://eduq.info/xmlui/bitstream/handle/11515/38054/bizier-33-2-20.pdf

Duval, A.-M. et Pagé, M. (2013). La situation authentique : de la conception à l’évaluation. AQPC.

Fréchin, J. -L. (2019, 14 mai). Les problèmes vicieux. Les Échos. https://www.lesechos.fr/idees-debats/sciences-prospective/les-problemes-vicieux-1018661

Lavoie, C. (2021). La réussite au cégep : regards rétrospectifs et prospectifs. Fédération des cégeps.

 

Suggestions de lecture

Bélec, C. (2018). L’importance de la motivation pour le développement de la métacognition, de l’apprentissage autorégulé et de l’autonomie. Pédagogie collégiale, 31(4), 15-21. https://eduq.info/xmlui/bitstream/handle/11515/37791/belec-31-4-2018.pdf

Bishop-Williams, K. (2020). Wicked problems through a new lens: Combining active learning strategies for solutions-oriented teaching. Journal of the Scholarship of Teaching and Learning, (20)1, 158-162.

Bradette, A. et Cabot, I. L’intérêt : levier de motivation au service de la persévérance. Pédagogie collégiale, (35)2, 34-41. https://eduq.info/xmlui/handle/11515/38282

Cabot, I. (2017, 10 mai). Le potentiel d’influence de l’intérêt scolaire dans la motivation des collégiens en difficulté [communication orale]. Colloque de l’ACFAS.

Cross, I. D. et Congreve, A. (2021). Teaching (super) wicked problems: authentic learning about climate change. Journal of Geography in Higher Education, (45)4, 491-516.

Gaudreau, N. (2013). Sentiment d’efficacité personnelle et réussite scolaire au collégial. Pédagogie collégiale, (26)3, 17-20.
https://eduq.info/xmlui/bitstream/handle/11515/21908/Gaudreau-26-3-2013.pdf

Kozanitis, A., Leduc, D. et Lepage. I. (2018). L’engagement cognitif au collégial. Une analyse exploratoire des liens entre ses dimensions. Pédagogie collégiale, (31)4, 22-27. https://eduq.info/xmlui/bitstream/handle/11515/37797/kozanistis-leduc-lepage-31-4-2018.pdf

Ministère de l’Enseignement supérieur (MES). (2021). Plan d’action pour la réussite en enseignement supérieur 2021-2026, Québec, Gouvernement du Québec, 2021.

Parent, S. (2014). De la motivation à l’engagement : un processus multidimensionnel à la réussite de vos étudiants. Pédagogie collégiale, (27)3, 13-16. https://eduq.info/xmlui/bitstream/handle/11515/34326/Parent-27-3-2014.pdf

Roberge, J. (2021). La maturité d’apprentissage : comment la susciter chez nos étudiants?. Pédagogie collégiale, (34)3, 11-16.
https://eduq.info/xmlui/bitstream/handle/11515/38091/roberge-34-3-21.pdf