Art, culture et pêche à la mouche

Un aperçu du programme de ressources fauniques de l'école Jean-Gauthier

Kassandra L’Heureux, étudiante au doctorat, Université de Sherbrooke et Valérie Vinuesa, professionnelle de recherche Chaire de recherche pour l’éducation en plein air, Université de Sherbrooke

 Temps estimé de lecture : 9 minutes

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Introduction

La chaire de recherche sur l’éducation en plein air (CREPA) vise à faire progresser les connaissances et les pratiques dans le domaine de l’éducation en plein air en milieu scolaire. Elle organise régulièrement des visites dans les milieux de pratique pour rencontrer les acteurs de la communauté éducative en plein air. Le 6 juin 2023, c’est avec plusieurs membres de la CREPA que nous nous sommes rendus au lac St-Jean pour rencontrer des acteurs du milieu et s’inspirer de leurs pratiques. Nous avons eu la chance de visiter plusieurs milieux naturels et de rencontrer des personnes inspirantes. C’est dans cette optique d’inspiration de pratique innovante que nous avons rencontré, aux pieds d’une montagne avec nos bottes de randonnées et nos manteaux de pluie, une équipe passionnée de plein air.

 

1. Un programme bien particulier

L’école secondaire Jean-Gauthier du Centre de services scolaire du Lac-Saint-Jean couvre sept municipalités soit Alma, Saint-Nazaire, l’Ascension-de-notre-Seigneur, Labrecque, Lamarche, Sainte-Monique et Saint-Henri-de-Taillon. L’école secondaire, dont les élèves proviennent de milieu rural et semi-rural, offre un programme optionnel de ressources fauniques à tous les élèves de la première à la cinquième année du secondaire. Le programme s’est implanté de façon graduelle sur plusieurs années, en débutant par un groupe de la première année du secondaire , puis avec le temps des partenariats se sont développés et les directions de l’école ont toujours été promoteures et gardiennes du programme. Il en résulte que le programme est porté par l’ensemble de l’école, ce qui en fait un peu l’ADN de l’établisssement, et celui-ci rayonne plus largement également.

Les personnes enseignantes dévouées se rendent même disponibles pour fabriquer des mouches sur les heures de diner et les jeunes y participent avec entrain. Elles ont également des tâches en ressources fauniques, ce qui fait en sorte que ce n’est pas uniquement réservé aux sciences. Les cours sont intégrés à leur tâche comme un cours à option. Il est donc possible que la tâche soit composée de plus de groupes de ressources fauniques et moins de groupes réguliers, ou l’inverse.

Avec une fréquence de huit périodes par cycle, les tâches varient entre la création et la réalisation d’activités, leur coordination, la préparation des horaires, la recherche de lieux et la communication entre les différents membres de l’équipe-école. L’école engage également une personne technicienne en travaux pratiques qui est responsable du matériel et du financement.

À travers ce programme, les jeunes ont la chance d’apprendre à connaître et à valoriser la nature, particulièrement la conservation et la protection de la faune. Les cours touchent de nombreux sujets comme la chasse, la pêche, le montage de mouche, le trappage, l’aménagement des habitats, la survie en forêt et la mycologie. La chasse et la pêche font partie de la vie quotidienne de la majorité des élèves de la région. Ce programme permet donc de créer des liens directs avec leur réalité et leur rend ainsi les apprentissages beaucoup plus significatifs. Cela a beaucoup d’impact quant à la motivation des jeunes, ils sont plus présents et se sentent valorisés. Ils développent également un fort sentiment d’appartenance et ils ont davantage le gout de s’impliquer.

 

2. La collaboration au cœur du projet.

La mise en place de tels projets innovants et collaboratifs qui tiennent compte de l’intérêt des jeunes pour les sciences et les encouragent à sortir à l’extérieur nécessite l’action de personnes intervenantes de l’ensemble du milieu éducatif québécois. Le programme de ressources fauniques de l’école Jean-Gauthier collabore notamment avec des artistes du centre d’art actuel Bang (par le projet KM3), des experts en mycologie, des chasseurs, des pêcheurs de la région qui acceptent de prêter leurs bateaux, des personnes des milieux agricoles qui cèdent des droits de passages sur leurs terres ainsi qu’avec des conseillers pédagogiques et des personnes enseignantes mordues de plein air.

 

2.1. Le laboratoire vivant  Kilomètres Cubes (KM3)

Assis sur un petit banc de toile, au centre de la forêt, à côté de deux tentes prospecteurs, plusieurs collaborateurs sont présents, dont le directeur du centre d’art actuel Bang, Patrick Moisan. Il collabore avec le programme de ressource faunique en donnant accès à la forêt, mais aussi en créant des partenariats avec des artistes comme Charles Sagalane, aussi présent parmi nous.

Patrick nous explique sa vision. C’est le 8 mars 2021 que le centre Bang a fait l’acquisition de 150 acres à Saint-Nazaire, sur le territoire de la MRC Lac-Saint-Jean-Est. Ce laboratoire vivant est présenté par Patrick comme un endroit de réflexion collective. Elle concerne non seulement l’avenir de la forêt du territoire, mais aussi celui des terres publiques intramunicipales (TPI), qui représentent de plus de 1000 acres adjacentes à celle de KM3. Cette initiative innovante permet le dialogue entre des associations, des citoyennes et citoyens, des milieux de recherches, des milieux scolaires, agricoles et forestiers, ainsi que de l’environnement et du récréotourisme. En plus de participer au développement local et régional, le laboratoire vivant soutient les initiatives éducatives grâce à la participation des milieux éducatifs, dont l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC).

 

2.2. La forêt et le passage du temps.

Installés au sommet de la montagne, on nous invite à choisir un endroit qui nous inspire, où on se sent bien, à nous installer et à fermer les yeux. Jean Gaudreault, mène depuis plus de 15 ans le programme de ressources fauniques de l’école Jean-Gauthier. Cet enseignant se démarque par sa passion pour les ressources fauniques et son impact majeur sur l’apprentissage et le développement des élèves. Ces qualités ont même été soulignées par de nombreux prix dont le mentorat des jeunes par la Fédération Canadienne de la Faune, Il nous amène par une démarche de pleine conscience à sentir le vent, à entendre les oiseaux, à toucher le sol, à ralentir notre respiration. Cet exercice nous a permis de développer une connexion avec la nature. L’équipe nous a expliqué qu’elle invite les élèves à faire de même et à se déposer après une randonnée. C’est à ce moment-là que les personnes enseignantes peuvent donner des consignes, alors que les jeunes sont attentifs, que la nature les a apaisés.

C’est donc dans cet état de calme que nous avons écouté un des artistes faisant partie du programme KM3 nous expliquer comment il propose aux élèves de faire de l’écriture en forêt. L’écrivain collabore avec l’école et KM3 en invitant les élèves à explorer l’écriture libre en plein air. Charles Sagalane était présent avec nous au sommet de la formation rocheuse et nous expliquait comment il utilise la forêt dans ses processus de création littéraire. L’écrivain est aussi adepte du plein air. Pour lui, l’écriture est une pratique vivante qui fait partie intégrale de sa vie que ce soit en cuisine, en canot ou encore quand il se promène dans la forêt. Il prend d’ailleurs grand soin d’avoir toujours à sa disposition un calepin de notes lorsqu’il se retrouve dans la nature et encourage les élèves à en laisser un dans leur matériel de pêche.

L’artiste mise sur l’écriture libre pour permettre aux élèves d’exploiter leur fantaisie et leur imagination. Il laisse quelques objets symboliques, créés à partir de matériaux de la forêt, sur le chemin dans la montagne afin que les élèves s’en inspirent. Il est « bibliothécaire de survie », titre qu’il s’est inventé et dont il relate les péripéties dans son dernier ouvrage. Équipé de son canot et de ses livres, il laisse les jeunes s’inspirer des îles de Saint-Gédéon comme un point d’ancrage pour la création littéraire. Il invite les élèves à se plonger dans une réflexion sur le futur et à entrevoir un monde où les sommets des montagnes, qu’on aperçoit du point de vue des terres de KM3, ne seraient plus que des îles, alors que le reste du paysage aurait été emporté par la montée des eaux.

C’est avec cette piste pour s’éloigner de l’écoanxiété que les élèves sont invités à travailler l’écriture. Le collège des médecins du Québec (2023) définit l’écoanxiété comme une préoccupation face aux bouleversements engendrés par les changements climatiques et l’appréhension de leurs conséquences. Ces experts du domaine médical reconnaissent que deux heures passées dehors par chaque semaine favorisent l’apaisement du stress et augmenter le sentiment de bienêtre. Dans cette perspective, les élèves sont invités à s’inspirer de ce qu’ils voient et à s’imprégner de la nature qui les entoure en ancrant leur écriture et leurs réflexions dans ce paysage.

Bien que le plein air soit souvent associé aux sciences, l’écrivain nous rappelle que toutes les matières peuvent être abordées dans un contexte de plein air. Les ateliers d’écriture des îles de Saint-Gédéon ne constituent qu’un exemple, bien que les langues semblent propices à l’enseignement en plein air. En effet, dans une des recherches réalisées par la CREPA auprès des personnes enseignantes concernant leur pratique en plein air, les matières les plus fréquentes au primaire étaient l’éducation physique et à la santé, le français et les mathématiques. Au secondaire, on retrouve l’éducation physique et à la santé, la science et technologie et les langues (Ayotte-Beaudet, Vinuesa, Turcotte et Berrigan, 2022).

 

3. Sortie de pêche en canot.

Nous avons également eu la chance d’aller visiter un des partenaires du programme : L’Orée des champs. Il s’agit d’une entreprise familiale de plusieurs générations qui fait principalement l’élevage d’agneaux. Ils ont généreusement accordé à l’école un droit de passage sur certaines de leurs terres afin de permettre aux élèves d’avoir accès aux sentiers de randonnée ainsi qu’à un lac. Après cette rencontre, nous nous sommes dirigés vers le lac Le Petit Bras, où nous étions initialement censés rejoindre des élèves de l’école Jean-Gauthier pour une sortie de pêche en canot. Malheureusement, dû à la qualité de l’air et aux feux de forêt, tous les élèves n’ont pas pu réaliser cette sortie.

 

Nous avons tout de même pu observer les lieux. Le lac est d’une grandeur parfaite pour pratiquer la manœuvre du canot, il permet de garder un œil sur les élèves tout en leur laissant assez d’espace pour naviguer. Le lac Le Petit Bras n’est pas seulement un territoire connu par les élèves du secondaire. Dès le préscolaire les élèves de la région s’y retrouvent pour apprendre les techniques de pêche. Jean Gaudreault nous a expliqué qu’il ensemence régulièrement le lac, assurant ainsi la pérennité des prises potentielles. Qu’arrive-t-il quand un élève attrape un poisson? En fait, cela varie. Parfois, ils pourront l’arranger et le manger dans le cadre des cours, mais d’autres fois le poisson sera conservé afin que l’élève qui a fait la prise puisse le ramener chez lui. Les apprentissages se poursuivent donc en dehors des murs de l’école et se rendent jusque dans les maisons où les élèves ont la chance de partager ce qu’ils ont vécu avec leurs proches.

 

Conclusion

Cette visite a permis non seulement d’observer un territoire différent, mais aussi de voir en action une mobilisation et une collaboration des acteurs de la région. Nous espérons que ces pratiques pourront inspirer d’autres personnes du milieu scolaire, ou encore, de potentiels collaborateurs. Pour l’école Jean-Gauthier, il s’agit des cours en ressources fauniques, mais quelle que soit votre région, nous vous encourageons à vous inspirer du territoire et de ses particularités locales. Ces pratiques des plus inspirantes ne sont rendues possibles que par l’engagement de toute l’équipe-école: le personnel enseignant, la direction et les personnes techniciennes en travaux pratiques. Il nous paraît aussi important de souligner le travail de Jérôme Gagnon, conseiller pédagogique qui œuvre dans plusieurs écoles de la CSSLSJ pour accompagner les équipes-écoles dans la mise en place et le déroulement des initiatives éducatives en plein air. Cette équipe dynamique et passionnée sait saisir toutes les opportunités pour partager sa passion. Elles et ils ont à cœur de former la relève et de continuer à créer des partenariats.

 

Références

Ayotte-Beaudet, J.-P., Vinuesa, V., Turcotte, S. et Berrigan, F. (2022). Pratiques enseignantes en plein air en contexte scolaire au Québec : au-delà de la pandémie de COVID-19. Université de Sherbrooke, Sherbrooke. 48 pages.

Collèges des medecins (2023, 27 juillet) Éco-anxiété et changements climatiques : vos réponses à notre sondage! https://www.cmq.org/en/news/eco-anxiete-changements-climatiques