Choisir un milieu extérieur à proximité de l’école pour faire des sciences en plein air

Une recherche sur les critères établis par les personnes enseignantes du préscolaire et du primaire

Marie-Claude Beaudry, étudiante chercheuse, et Jean-Philippe Ayotte-Beaudet, professeur, Université de Sherbrooke


 

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Introduction

Le programme du préscolaire et du primaire initie progressivement les élèves aux sciences (Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2001; 2020) pour qu’ils aient les outils nécessaires à la compréhension des enjeux socioscientifiques du 21e siècle (OCDE, 2018). Ces enjeux pourraient concerner, par exemple, la perte massive de la biodiversité à l’échelle mondiale, les changements climatiques ou toute autre thématique qui implique les sciences et qui a une incidence sur les sociétés. Il est aujourd’hui indispensable d’amener les élèves à développer leurs connaissances et leur raisonnement scientifiques pour répondre à ces enjeux (UNESCO, 2021). Parmi l’ensemble des approches qui soutiennent cette initiation aux sciences, il y a celle de la contextualisation des apprentissages en plein air à proximité de l’école.

 

La contextualisation des apprentissages scientifiques dans les milieux extérieurs à proximité de l’école

La contextualisation des apprentissages scientifiques, c’est de mettre les apprentissages dans un contexte concret et réel pour les élèves (Giamellaro, 2017). La contextualisation peut prendre différentes formes. Dans cet article, il sera question de la contextualisation dans les milieux extérieurs à proximité de l’école. Par exemple, une personne enseignante pourrait enseigner les types de nuages en allant les observer directement lors de jours de pluie et en les comparant avec les nuages lorsqu’il n’y a pas de précipitations. L’important, c’est que le contexte choisi soit pertinent pour la compréhension des apprentissages scientifiques (Giamellaro, 2017).

Lorsque les élèves sont familiers avec les milieux extérieurs choisis, cela pourrait leur permettre de s’engager dans leurs apprentissages scientifiques (Ayotte-Beaudet et al., 2022). Cet engagement pourrait soutenir les élèves dans leur développement d’un rapport positif à l’environnement (Dale et al., 2020), dans le développement de l’intérêt pour les sciences (Ayotte-Beaudet et al., 2019) et dans l’ancrage de leurs apprentissages (Giamellaro, 2014). C’est pourquoi les lieux à proximité de l’école sont intéressants. En plus de la cour d’école, certaines personnes enseignantes choisissent des milieux plus urbains, comme le quartier et les parcs municipaux, ou des milieux naturels comme les forêts et les boisés (Ayotte-Beaudet et al., 2022). Par exemple, pour enseigner les machines simples, certaines exploitent le parc de la cour d’école.

 

Présentation de la recherche

Cette recherche a été réalisée dans le cadre d’un mémoire de maitrise. L’objectif était d’identifier les critères établis par le personnel enseignant du préscolaire et du primaire pour choisir les milieux extérieurs lorsqu’ils contextualisent des situations d’apprentissage à proximité de l’école. Pour répondre à cet objectif, 14 personnes enseignantes ont participé à une entrevue, dont 8 au préscolaire et 6 au primaire.

 

Résultats : les bons milieux selon les personnes participantes

Pour choisir les milieux extérieurs propices aux situations d’apprentissage contextualisées, les personnes enseignantes s’appuient sur trois principaux critères, qui seront décrits et exemplifiés dans les paragraphes qui suivent.

 

Les milieux choisis doivent être directement liés aux apprentissages scientifiques visés

Les personnes enseignantes souhaitent que les milieux extérieurs qu’elles choisissent pour réaliser leurs situations d’apprentissage contextualisées soient cohérents avec les apprentissages scientifiques visés. En d’autres termes, elles s’intéressent aux liens que les élèves peuvent faire entre ce qui est accessible dans le milieu et les connaissances qu’elles souhaitent transmettre.

Prenons l’exemple de Line, une enseignante au 2e cycle du primaire. Line enseigne dans un milieu rural où elle a accès à un boisé. Elle y amène ses élèves environ une fois par mois. Elle souhaitait leur enseigner des connaissances sur les champignons. Elle a alors consulté sa conseillère pédagogique afin que cette dernière l’accompagne dans le boisé pour explorer la mycologie de ce milieu. À partir de ses découvertes, Line a pu préparer sa situation d’apprentissage de manière à ce qu’elle soit cohérente avec ce que les élèves pourront trouver dans le boisé. Durant leur exploration, les élèves ont pris des photos de champignons et, une fois revenus en classe, elles et ils ont pu faire des recherches afin de les identifier. C’est donc à partir des éléments présents dans le boisé que Line et ses élèves ont identifié des champignons.

Voyons aussi l’exemple de Mylène, une enseignante au 1er cycle du primaire dont l’école se situe dans un milieu urbain. Pour ses situations d’apprentissage scientifiques en plein air, elle utilise la cour d’école et les endroits environnants du quartier, dont les rues adjacentes et un parc urbain à proximité. L’une des situations d’apprentissage est axée sur la démarche d’observation. Mylène exploite précisément le parc pour que les élèves puissent apprendre la nécessité scientifique du carnet de notes en plus de développer des stratégies d’utilisation de ce carnet. Pour ce faire, elle amène ses élèves au parc où elles et ils observent les changements à travers les saisons. Au fil des semaines, elles et ils notent des informations sur les comportements des animaux ou même sur les transformations de la végétation. Les élèves complètent leur carnet en classe, à l’aide d’autres ressources comme les documentaires ou des recherches sur Internet. De cette manière, le milieu est mis à contribution dans les apprentissages des pratiques scientifiques des élèves.

 

Les milieux choisis doivent être porteurs de sens pour la communauté et l’environnement

Les personnes enseignantes s’assurent aussi que le milieu soit porteur de sens, c’est-à-dire qu’il permet aux élèves de connecter leurs apprentissages scientifiques à leur environnement de proximité, voire à leur communauté.

Prenons l’exemple de Régina, une enseignante au préscolaire qui travaille dans un milieu semi-urbain. Elle utilise généralement la cour d’école, la plage et la forêt, tous des lieux à proximité de l’école. Dans la cour d’école de Régina, un grand chêne mature a dû être coupé parce que ses racines risquaient de briser les fondations de l’école. Juste avant de le couper, Régina et ses élèves sont allés chercher ses glands. Elles et ils les ont examinés et ont fait des recherches sur le sujet. Les élèves ont pu en apprendre beaucoup sur les chênes et ses fruits! Afin de conserver des souvenirs de ce chêne, les élèves ont récolté les glands, les ont congelés et… le moment venu, les ont plantés dans la petite forêt située tout près de l’école. Ils ont collaboré avec des membres de leur communauté pour réaliser ce projet. Ensemble, elles et ils ont permis aux gens du quartier de conserver des souvenirs de ce chêne. Les personnes du quartier impliquées dans le projet étaient très fières de ces élèves!

Un autre exemple est celui de Janelle, aussi enseignante au préscolaire. Elle a l’habitude d’utiliser la cour d’école, le quartier de l’école et un espace aux abords du fleuve Saint-Laurent. C’est cet espace qui est le plus souvent fréquenté par sa classe. Une fois, au printemps, elle nous raconte qu’un élève a observé une plante spéciale qu’il n’avait jamais vue avant. Ensemble, les élèves se sont questionnés à savoir ce qu’elle était. Les élèves de Janelle lui ont posé des questions, ont questionné le personnel de l’école et même leurs proches afin de mieux connaitre cette plante particulière. Les connaissances mises en commun ont permis aux élèves d’apprendre qu’il s’agissait d’une plante envahissante. Une grande discussion sur les plantes envahissantes a permis à Janelle d’ouvrir le dialogue sur la biodiversité et sur la fragilité des espaces naturels, comme ce petit havre de paix que les élèves fréquentent aux abords du fleuve. Mais ça ne s’est pas arrêté là! Les élèves ont appris que cette plante pouvait être réduite en compote pour la manger! Ainsi, grâce à ce milieu, des questions ont surgi et Janelle a pu accompagner les élèves dans leurs questions et leurs hypothèses. Elle en a profité pour aborder la biodiversité et la protection de l’environnement, thématiques qu’elle juge cruciales pour des élèves au 21e siècle. Par la fréquentation récurrente de cet espace, les élèves ont soulevé des questions qui les ont amenés à développer leur curiosité de cet environnement qui les entoure.

 

Les milieux choisis doivent susciter l’émerveillement et le questionnement scientifiques

Une troisième façon de choisir un lieu extérieur est de miser sur son potentiel d’émerveillement et de questionnement scientifiques. En fait, il s’agit d’aller dans un milieu extérieur familier avec les élèves et de les amener à remarquer ce qui les entoure, à s’en émerveiller et à se questionner.

Par exemple, Marianne, enseignante au préscolaire, a aménagé une classe extérieure avec ses propres moyens dans une petite forêt adjacente à la cour d’école. C’est le lieu qu’elle utilise au quotidien, tout en profitant des richesses du quartier pour faire des marches pédagogiques avec ses élèves chaque semaine. Pour elle, le but premier de l’éveil scientifique des élèves du préscolaire est de leur apprendre à questionner le monde qui les entoure, mais aussi à s’en émerveiller pour avoir envie de l’habiter, de le protéger. Pour se questionner, il faut apprendre à observer ce qui nous entoure en étant en contact avec cet environnement. Elle donne l’exemple où ses élèves faisaient leur sieste dehors et que des fourmis montaient sur leur couverture. Puisque quelques élèves cherchaient à les chasser de leur couverture, Marianne a profité de l’occasion pour les amener à observer la fourmi. Que fait-elle? Où va-t-elle? Où habite-t-elle? La discussion s’est élargie. Avec quels autres insectes partageons-nous notre monde? Quelles autres espèces habitent dans notre classe extérieure? Une situation simple avec des fourmis a permis à Marianne de développer la prise de conscience des éléments vivants et non vivants avec qui les élèves partagent leur classe extérieure. La classe extérieure n’est pas leur classe, c’est leur monde, l’environnement immédiat dans lequel se familiarisent les élèves.

Un autre exemple est celui de Mélanie, une enseignante au 1er cycle. Le lieu qu’elle utilise le plus souvent est la petite forêt qui longe le bord de son école. Pour elle, enseigner les sciences, c’est faire des enquêtes. Avec ses élèves, elle part vers un petit espace qu’elles et ils se sont approprié. Lorsque les élèves ont des questions, elles et ils en discutent, émettent des hypothèses et écrivent la question sur un papier autocollant conservé en classe. Répondre à la question, c’est résoudre une enquête! Celle-ci peut prendre quelques jours, voire quelques semaines, selon les questions que posent les élèves, mais aussi selon l’intérêt suscité. L’enseignante trouve que de fréquenter le même lieu au quotidien amène ses élèves à l’observer différemment et à se poser beaucoup de questions, même s’il s’agit toujours du même endroit.

 

Conclusion

Dans cette recherche, il a été question de comprendre sur quoi repose le choix des lieux lorsque les personnes enseignantes veulent réaliser des situations d’apprentissage scientifiques contextualisées dans les milieux extérieurs à proximité de l’école. Elles s’appuient sur trois critères, c’est-à-dire l’accessibilité aux sciences, l’apport des sciences pour la communauté et pour l’environnement, puis le questionnement et l’émerveillement scientifiques suscités par ces milieux. Ces critères peuvent soutenir d’autres personnes enseignantes qui cherchent à contextualiser des situations d’apprentissage dans les milieux extérieurs à proximité de l’école. Retenons que ces critères peuvent s’appliquer partout, autant dans les milieux ruraux et forestiers que dans les milieux urbains!

Je profite de ces quelques lignes pour remercier à nouveau les personnes enseignantes ayant contribué à cette recherche et, par le fait même, à soutenir le développement des connaissances sur l’éducation scientifique en plein air dans les milieux extérieurs à proximité de l’école! Vos expériences « contribuent à l’enrichissement des corpus de connaissances nécessaires pour transformer les environnements éducatifs! » (UNESCO, 2021, p. 90)

 


 

Références

Ayotte-Beaudet, J.-P., Potvin, P. et Riopel, M. (2019). Factors related to middle-school students’ situational interest in science in outdoor lessons in their schools’ immediate surroundings. International Journal of Environmental & Science Education, 14(1), 13‑32.

Ayotte-Beaudet, J.-P., Vinuesa, V., Turcotte, S. et Berrigan, F. (2022). Pratiques enseignantes en plein air en contexte scolaire au Québec : au-delà de la pandémie de COVID-19. Université de Sherbrooke.

Dale, R. G., Powell, R. B., Stern, M. J. et Garst, B. A. (2020). Influence of the natural setting on environmental education outcomes. Environmental Education Research, 26(5), 613‑631. doi:10.1080/13504622.2020.1738346

Giamellaro, M. (2014). Primary contextualization of science learning through immersion in content-rich settings. International Journal of Science Education, 36(17), 2848‑2871. doi:10.1080/09500693.2014.937787

Giamellaro, M. (2017). Dewey’s yardstick: contextualization as a crosscutting measure of experience in education and learning. SAGE Open, 7(1), 1‑11.

Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport.  (2001). Programme de formation de l’école québécoise : éducation préscolaire, enseignement primaire (.). Gouvernement du Québec. http://www4.banq.qc.ca/pgq/2006/3127968.pdf

Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport. (2020). Programme-cycle d’éducation préscolaire. Gouvernement du Québec.

OCDE. (2018). Cadre d’évaluation et d’analyse de l’enquête PISA 2015. OECD Publishing. https://doi.org/10.1787/9789264297203-fr

UNESCO. (2021). Repenser nos futurs ensemble : un nouveau contrat social pour l’éducation.

 

Suggestions de lecture

Moffet, J. (2018). Enseigner les sciences avec et par la nature de proximité : pour développer l’esprit scientifique et l’identité écologique des jeunes. Spectre, 48(1), 19-22.

Secours, É., Ayotte-Beaudet, J.P, Gignac A. et Castagneyrol, B. (2020). Chenilles-espionnes, un projet de sciences citoyennes pour sensibiliser les jeunes à la biodiversité. Spectre, 50(1), 25-28.