Ousmane Sy, professeur de didactique des sciences et de la technologie, Université du Québec à Trois-Rivières et Audrey Groleau, professeure de didactique des sciences et de la technologie, Université du Québec à Trois-Rivières
Catherine Simard, professeure en didactique des sciences et technologies, Université du Québec à Rimouski, Lucia Savard, enseignante du primaire et professionnelle de recherche, Université du Québec à Rimouski, Mélanie Cantin, coordonnatrice des communications, Technoscience Est-du-Québec et Dominique Savard, directrice générale, Technoscience Est-du-Québec
Alexis Legault, étudiant à la maitrise, Kara Edward, étudiante au doctorat et Adolfo Agundez Rodriguez, professeur, Université de Sherbrooke
Audrey Groleau, professeure de didactique des sciences et de la technologie, Université du Québec à Trois-Rivières, Irvings Julien, stagiaire postdoctoral, Université du Québec à Trois-Rivières et Marco Barroca-Paccard, professeur de didactique des sciences de la nature, de la biologie et de la durabilité, Haute école pédagogique de Vaud (Suisse)
Isabelle Arseneau, doctorante, Université Laval, Audrey Groleau, professeure, Université du Québec à Trois-Rivières et Chantal Pouliot, Professeure, Université Laval
Maia Morel, professeure agrégée, Université de Sherbrooke et Elizabeth Fafard, étudiante à la maitrise, Université de Sherbrooke
Cet automne, des étudiants et étudiantes en enseignement des sciences et de la technologie au secondaire nous ont demandé de clarifier ce qu’est un projet intégrateur. Voici leurs questions :
Nous en avons souvent et longuement discuté, nous avons revisité les documents ministériels et des écrits que nous avions déjà lus. C’est ainsi que nous avons décidé de présenter le fruit de notre réflexion sous la forme d’un article professionnel. Dans cet article, nous détaillons diverses caractéristiques du projet intégrateur et nous discutons de certaines approches pour le mettre en œuvre par l’enseignant ou l’enseignante de science et technologie. Ce faisant, nous répondons aux questions formulées précédemment.
Il est à noter que l’idée de projet intégrateur n’est pas un concept défini dans la recherche. À titre d’exemple, le document ministériel présentant le projet intégrateur (MELS, 2007a) s’appuie sur des ouvrages et des documents portant sur l’approche par projets, pas sur le projet intégrateur en soi, ni même sur l’intégration ou l’interdisciplinarité. Dans cet article qui s’inscrit dans la rubrique Réflexion de la revue, nous répondons aux questions de nos étudiants et étudiantes en nous basant sur les connaissances que nous avons acquises en tant que professeurs de didactique des sciences et de la technologie et en nous appuyant sur les écrits ministériels et du domaine de l’interdisciplinarité. Autrement dit, il s’agit d’un point de vue que nous avons développé sur ce thème.
Dans cet article, nous distinguons le projet intégrateur, au sens large, du cours qui porte le même nom et qui figure dans le cheminement des élèves du secondaire. Le cours Projet intégrateur amène les élèves à réaliser un tel projet, mais il ne s’agit absolument pas du seul moment où on peut le faire ni de la seule manière dont il peut être réalisé. En effet, le cours a des exigences plus précises que ce qu’implique l’idée plus générale de projet intégrateur. Ainsi, l’enseignant ou l’enseignante de science et technologie qui désire inviter les élèves de ses cours à vivre un projet intégrateur n’a pas à se conformer aux particularités du cours intitulé du même nom. Tout au long de cet article, nous aborderons les particularités des deux cas (le travail dans le cadre du cours Projet intégrateur), en veillant à préciser le contexte au besoin.
De manière générale, quand on parle d’un projet intégrateur, on fait référence à un moment du cheminement de l’élève où on l’invite à mobiliser ses apprentissages déjà réalisés (connaissances, compétences disciplinaires et transversales, utilisation de ressources, consultation de spécialistes, méthodes de travail, stratégies, habiletés, techniques, démarches, etc.) pour mener à terme une activité de plus grande envergure. Dans cette perspective, le projet intégrateur constitue un outil de développement des compétences et peut bien sûr mener à l’acquisition de nouvelles connaissances. Le thème choisi doit bien se prêter à la réalisation de tâches complexes par les élèves. Le projet intégrateur peut être de nature interdisciplinaire ou non. Autrement dit, les disciplines peuvent bien sûr être ce qui est intégré dans un projet intégrateur, mais il pourrait aussi s’agir d’univers (au sens d’univers vivant, matériel, technologique, et Terre et espace), de compétences travaillées dans le cadre d’un même cours ou de différents cours, d’apprentissages acquis sur plusieurs années, etc., comme cela est proposé dans les programmes de science et technologie du secondaire (MELS, 2007a)
Par exemple, une enseignante pourrait s’appuyer sur les annonces de décembre 2022 du ministre de l’Énergie Pierre Fitzgibbon autour de l’idée de « sobriété énergétique » (Lajoie, 2022 ; Saint-Arnaud, 2022) pour réaliser un projet intégrateur dans son cours de science et technologie. Dans un premier temps, les élèves réaliseraient une démarche de construction d’opinion autour des manières de diminuer la consommation d’énergie de la population québécoise. Dans cette partie du projet intégrateur, ils et elles intègreraient des apprentissages autour de la production et de la consommation d’énergie, des besoins des personnes autour de l’énergie (se réchauffer – y compris les idées de métabolisme et d’homéostasie –, faire fonctionner les appareils et les véhicules, etc.), l’utilisation et le fonctionnement d’objets technologiques comme la maison intelligente. Plus largement, ils et elles mettraient en pratique leurs connaissances autour de la recherche d’informations et la production de contenus pertinents pour exprimer leurs points de vue, tout en utilisant les langages des sciences et de la technologie et probablement aussi des mathématiques.
Par la suite, chaque équipe pourrait réaliser un projet d’approfondissement plus libre autour du même thème. Les membres d’une équipe chercheraient à mieux comprendre comment l’énergie est consommée dans une maison en particulier et chercheraient comment diminuer la consommation d’énergie de la famille qui y habite. Une autre équipe analyserait le fonctionnement d’une maison intelligente – y compris la programmation informatique qui se cache derrière elle – pour présenter le fruit de leur travail dans le cadre d’une expo-sciences. Une autre équipe encore pourrait étudier de façon plus approfondie le concept de « sobriété énergétique » (alors que la démarche de construction d’opinion de la première partie de l’activité concernait finalement davantage la consommation d’énergie que la « sobriété énergétique ») et produire des affiches de sensibilisation à placer dans l’école.
Si on analyse l’exemple présenté, on constate que ce projet intégrateur permet aux élèves de mobiliser plusieurs démarches, plusieurs apprentissages liés aux différents univers et diverses compétences transversales et disciplinaires. Le projet proposé s’inscrit principalement dans la discipline que sont les sciences et la technologie, mais pourrait aussi convoquer les mathématiques et le français dans une perspective interdisciplinaire. Cela dit, les aspects interdisciplinaires du projet pourraient y prendre plus ou moins de place, et impliquer, ou non, le personnel enseignant d’autres disciplines.
Il est à noter qu’un projet comme celui que nous avons donné en exemple ne correspondrait pas aux attentes du cours Projet intégrateur. En effet, on exige, dans ce cours, que l’élève choisisse lui-même le thème du projet (MELS, 2007a), alors qu’ici, il est proposé par l’enseignante.
Diverses approches pédagogiques pourraient être envisagées pour mettre en œuvre un projet intégrateur, mais il n’en demeure pas moins que l’approche par projet est souvent choisie. Elle est d’ailleurs privilégiée dans les documents ministériels liés au cours du même nom (MELS, 2007a). Les démarches scientifiques et technologiques présentées dans le Programme de formation de l’école québécoise en science et technologie (MELS, 2007b) pourraient aider les élèves à structurer leur travail. L’ilot de rationalité interdisciplinaire (Fourez, 1997 ; Pouliot et Groleau, 2011), une démarche cherchant à répondre à la question « De quoi s’agit-il ? » souvent utilisée lorsqu’on cherche à prendre une décision ou à se construire une opinion, offrirait une occasion d’explorer des concepts et des disciplines, mais aussi de réaliser des visites sur le terrain, de consulter des expertes et experts et d’amener les élèves à poser une action sociale. Dans le même ordre d’idées, les démarches de recherche-action proposées par Poudrier (voir le film Les porteurs d’espoir (Dansereau, 2010)) ou par Bencze (voir le cadre théorique et pédagogique STEPWISE autour d’un enseignement des sciences et de la technologie qui promeut le bienêtre des individus, des sociétés et de l’environnement (Bencze et Carter, 2011)) gagneraient à être explorées. C’est donc dire que l’approche par projet est un bon véhicule pour la réalisation d’un projet intégrateur en classe de science et technologie ou dans le cours du même nom, mais qu’il n’est pas le seul ni toujours le meilleur. Chaque situation est différente. Les équipes enseignantes ne devraient pas hésiter à explorer diverses approches.
En conclusion, nous souhaitons revenir sur une question qui nous est souvent posée et qui gagnerait selon nous à être formulée différemment : un projet intégrateur doit-il mener à de nouveaux apprentissages ou pourrait-il surtout viser l’application et l’intégration d’apprentissages déjà réalisés par l’élève ? Pour nous, appliquer et intégrer des apprentissages est un apprentissage en soi. C’est en fait une compétence qui fait partie du Programme de formation de l’école québécoise lorsqu’il est question d’un projet intégrateur : on cherche à ce que les élèves soient en mesure de tisser des liens pertinents entre les concepts et les disciplines. Ainsi, pour nous, il est évident que les élèves feront de nouveaux apprentissages alors qu’ils s’affairent à mobiliser leurs acquis. Parfois, ils et elles acquerront de nouvelles connaissances ; parfois, ils et elles développeront de nouvelles compétences, habiletés, techniques, etc. ; parfois, ils et elles apprendront surtout à examiner des problèmes complexes ; parfois, ce sera un mélange des divers éléments évoqués. Ainsi, les enseignants, les enseignantes et les élèves gagneraient à expliciter leurs intentions pédagogiques et d’apprentissage en début de
projet.
Nous sommes reconnaissants envers les étudiants et étudiantes de 4e année du baccalauréat en enseignement secondaire de l’Université du Québec à Trois-Rivières – et en particulier à celles qui se destinent à l’enseignement des sciences et de la technologie – pour leurs questionnements à la fois pertinents et difficiles, et pour avoir alimenté notre réflexion autour du projet intégrateur.
Bencze, L. et Carter, L. (2011). Globalizing students acting for the common good. Journal of Research in Science Teaching, 48(6), 648-669.
Dansereau, F. (2010). Les porteurs d’espoir. Office national du film du Canada.
Fourez, G. (1997). Qu’entendre par îlot de rationalité ? et par îlot interdisciplinaire de rationalité ? Aster, 25, 217-225.
Lajoie, G. (2022). Fitzgibbon prône la « sobriété énergétique » : Vous pourriez devoir baisser votre chauffage. Le Journal de Québec. https://www.journaldequebec.com/2022/12/02/la-sobriete-energetique-pronee-vous-pourriez-devoir-baisser-votre-chauffage-cet-hiver
Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport [MELS]. (2007a). Projet intégrateur. Gouvernement du Québec.
Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport [MELS]. (2007b). Science et technologie. Gouvernement du Québec.
Pouliot, C. et Groleau, A. (2011). L’approche des îlots de rationalité interdisciplinaires : pour une éducation aux sciences et à la citoyenneté. Pédagogie collégiale, 25(1), 9-14.
Saint-Arnaud, P. (2022). La sobriété énergétique sera difficilement atteignable, selon des experts. La Presse. https://www.lapresse.ca/actualites/environnement/2022-12-07/la-sobriete-energetique-sera-difficilement-atteignable-selon-des-experts.php