Yvon Lapointe, Enseignant retraité
Kassandra L’Heureux, étudiante au doctorat, Université de Sherbrooke et Valérie Vinuesa, professionnelle de recherche Chaire de recherche pour l’éducation en plein air, Université de Sherbrooke
Catherine Simard, professeure en didactique des sciences et technologies, Université du Québec à Rimouski, Lucia Savard, enseignante du primaire et professionnelle de recherche, Université du Québec à Rimouski, Mélanie Cantin, coordonnatrice des communications, Technoscience Est-du-Québec et Dominique Savard, directrice générale, Technoscience Est-du-Québec
Julie Moffet, coordonnatrice, conseillère principale équipe Innovation pédagogique, Fondation Monique-Fitz-Back
Alexis Legault, étudiant à la maitrise, Kara Edward, étudiante au doctorat et Adolfo Agundez Rodriguez, professeur, Université de Sherbrooke
Audrey Groleau, professeure de didactique des sciences et de la technologie, Université du Québec à Trois-Rivières, Irvings Julien, stagiaire postdoctoral, Université du Québec à Trois-Rivières et Marco Barroca-Paccard, professeur de didactique des sciences de la nature, de la biologie et de la durabilité, Haute école pédagogique de Vaud (Suisse)
Maia Morel, professeure agrégée, Université de Sherbrooke et Elizabeth Fafard, étudiante à la maitrise, Université de Sherbrooke
De toutes les conséquences du réchauffement climatique de la planète, l’idée de l’augmentation du niveau des océans est, à sa face même, une des plus faciles à comprendre et peut-être la plus terrifiante.
SVOBODA, 2019, TRADUCTION DE L’AUTEUR
Dans les programmes de sciences et technologies, on souhaite que les enseignants et enseignantes proposent aux élèves des situations dites contextualisées qui s’inspirent de questions d’actualité liées à de grands enjeux de l’heure. À la suite d’une relecture d’un article de Lan (2010), qui montre que nous pouvons expliquer la cause de l’élévation du niveau marin en utilisant le principe d’Archimède, l’idée m’est venue de m’inspirer de sa démarche pour proposer une situation de mise en pratique de ce principe à l’intention des élèves de cinquième secondaire.
Cet article vise principalement l’application de deux compétences disciplinaires issues du programme de physique, à savoir : « Mettre à profit ses connaissances en physique » et « Chercher des réponses ou des solutions à des problèmes relevant de la physique ».
L’article se divise en quatre volets. Le premier montre que l’augmentation du niveau des océans est déjà un fait accompli et que ce phénomène s’accélère avec la hausse de la température du globe. Le second volet définit la principale source de l’augmentation du niveau des océans, soit la fonte des inlandsis, et en énonce brièvement le mécanisme responsable. Le troisième volet décrit la situation de mise en pratique. Enfin, le dernier volet propose un exemple de calcul de la variation du niveau de l’océan Austral due à la fonte d’un iceberg.
Déjà en 2002, Meier et Wahr (2002) écrivaient que « l’augmentation graduelle du niveau de la mer est un des aspects les plus troublants du changement global, spécialement parce que celui-ci s’accélèrera probablement à mesure que le réchauffement global progresse » (Proceedings of the National Academy of Sciences of the United-States [PNAS]) (traduction de l’auteur).
Selon un communiqué de l’Organisation des Nations Unies (ONU) datant du 25 septembre 2019,
les océans ont absorbé environ un quart des émissions de gaz à effet de serre générés par les humains, avec des conséquences palpables : un niveau des mers et des océans qui monte deux fois plus vite, tout en se réchauffant, selon un nouveau rapport du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC) […].
Annie Labrecque (2018), dans un article qu’a publié la revue Québec Science en juin 2020, écrit que
la hausse du niveau des mers pourrait affecter des millions de personnes à travers le monde d’ici 2100. Le Québec ne sera pas épargné. Lors d’une conférence web réunissant des experts en climatologie, Michael Oppenheimer, chercheur américain à l’université Princeton, mentionne « qu’avec le réchauffement climatique, la fonte de la calotte glaciaire est l’une des causes les plus importantes de la montée des eaux du globe ».
Un inlandsis est une nappe de glace de forte épaisseur (jusqu’à plusieurs kilomètres) et de grande étendue. Comme les icebergs, les inlandsis sont des glaciers; contrairement à eux, ils ne flottent pas, parce qu’ils recouvrent une étendue de terre, bien qu’ils puissent s’étendre au-dessus de la mer. On parlera alors de « barrière de glace ». On trouve deux inlandsis sur la planète : l’inlandsis de l’Antarctique et l’inlandsis du Groenland (Wikipédia, 2020).
Comme les autres glaciers, les inlandsis sont formés par une accumulation de neige. En effet, dans cette situation, le volume de neige qui tombe surpasse celui qui fond. Avec le temps, la neige se trouve comprimée, et une partie de l’air qu’elle contient est évacuée, ce qui cause une transformation progressive de la neige en glace. « Cette glace est suffisamment plastique pour se déformer selon la gravité ou son propre poids. Dans le cas des inlandsis, c’est le propre poids de la glace qui provoque son déplacement. » (Wikipédia, 2020)
Le mécanisme produisant la hausse du niveau des océans peut se résumer ainsi (Wikipédia, 2021) : lorsque la partie frontale de la nappe de glace s’avance dans l’océan, une portion reste attachée à la terre ferme, et l’autre flotte à la surface de l’océan, formant ainsi une barrière qui limite l’écoulement de la nappe glaciaire. Avec le temps, des failles se forment dans la barrière. Celle-ci finit par s’écrouler, permettant alors à la nappe glaciaire de s’avancer de nouveau dans la mer. Sous l’influence du vent, des vagues et des courants sous-marins chauds se crée un nouvel apport de glace « fraiche » qui se disloque, donnant ainsi naissance à de multiples icebergs qui, en Antarctique, ont généralement une forme tabulaire. C’est la fonte de ces icebergs qui provoque la hausse du niveau des océans.
Niveau : cinquième secondaire
Discipline : physique
Compétences disciplinaires : mentionnées ci-haut
Apports possibles d’autres disciplines : histoire (Archimède), géographie (Antarctique, océan Austral), mathématiques (résolutions d’équations), français (vocabulaire de la glaciologie : banquise, iceberg…)
Concepts utilisés : masse volumique, poids, poussée d’Archimède, équilibre des forces
Équations : poussée d’Archimède :
Poussée = ρmVmg (1)
où ρm est la masse volumique de l’eau de mer, Vm, le volume d’eau de mer déplacé par la partie immergée de l’iceberg et g, l’accélération gravitationnelle.
Le poids de l’iceberg :
Poids = ρgVgg (2)
où ρg est la masse volumique de la glace et Vg, le volume total de l’iceberg.
La démarche : en combinant (1) et (2), on obtient :
ρmVm = ρgVg (3)
Quand l’iceberg est complètement fondu, le poids de l’eau résultant de la fonte de la glace est égal au poids de la glace. Ce qui donne :
ρeVe = ρgVg (4)
où ρe est la masse volumique de l’eau et Ve, le volume d’eau résultant de la fonte totale de la glace.
De (3) et (4), on obtient :
ρeVe = ρmVm (5)
On peut réécrire (5) de la façon suivante :
Ve = ρmVm /ρe (6)
Sachant que ρm vaut 1 024 kg/m3 et que ρe vaut 1 000 kg/m3, le calcul du rapport des masses volumiques nous donne :
ρm/ρe = 1,024 (7)
Cette équation nous montre que Ve est supérieur Vm. Cela signifie que lorsque le volume d’eau déplacé est comblé, le « surplus » d’eau douce forme un film qui se répartit à la surface de l’océan.
Mais comment peut-on quantifier l’épaisseur de ce film? Pour ce faire, on doit utiliser les grandeurs suivantes : la masse volumique de la glace qui est de 917 kg/m3, celle de l’eau de fonte – de l’eau douce –, soit 1 000 kg/m3, et celle de l’eau de mer (1 024 kg/m3).
La différence entre Ve et Vm s’exprime ainsi :
Ve – Vm = (ρm/ρe)(Vm) – Vm (8)
On réécrit (8) de la façon suivante :
Ve – Vm = (ρm/ρe – 1) Vm (9)
En utilisant (3), dans (9), on a :
Ve – Vm = (ρg/ρm) (ρm/ρe – 1) Vg (10)
En utilisant la valeur des masses volumiques, l’équation (10) nous donne :
Ve – Vm = 0,021 Vg (11)
Cette équation nous montre que la différence entre le volume d’eau douce (Ve) et le volume d’eau de mer déplacée (Vm) (donc l’augmentation du volume de l’eau) est égale à 0,021 fois le volume de la glace au départ. Cela semble peu, mais il ne faut pas perdre de vue que le volume des icebergs est énorme.
Le volume d’eau qui s’étale à la surface de l’océan est donné par (Ao x Δh) où Δh est la variation du niveau de l’océan et où Ao correspond à l’aire de la surface de l’océan. L’équation (11) prend alors la forme suivante :
Ao × Δh = 0,021 Vg (12)
Un exemple du calcul de Δh
En mars 2000, un des plus grands icebergs jamais observés, l’iceberg B-15, s’est détaché de la Barrière de Ross située au sud-ouest de l’Antarctique (The Earth Observatory, 2018). Cet iceberg avait un volume de glace estimé à 4 000 km3. L’océan glacial Antarctique (dit aussi océan Austral) dans lequel il s’est désintégré a une aire estimée à 2,196 × 107 km2.
2,196 × 107 km2 × Δh = 0,021 × 4 000 km3
Δh = 3,8 mm
Répartie sur la surface totale des océans qui est 3,6 × 108 km2, la hausse de leur niveau n’est que de 0,23 mm. Cette valeur peut sembler insignifiante pour convaincre les élèves du danger que représente ce phénomène. Dans son article publié par La Presse, Perreault (2020) avance ceci : « Si la température mondiale cessait magiquement d’augmenter aujourd’hui, de la glace antarctique fonderait encore jusqu’à ce que le niveau de la mer augmente de 1,5 m par rapport à l’ère préindustrielle. »
Bien que la situation proposée semble complexe, je suis d’avis qu’elle est accessible, en tout ou en partie, aux élèves de cinquième secondaire. Par exemple, l’enseignant ou l’enseignante peut faire calculer l’augmentation moyenne de l’élévation au cours des 10 dernières années ou à un instant donné en utilisant les données accessibles sur Wikipédia (augmentation du niveau de la mer). Une discussion de groupe peut être menée sur les conséquences des augmentations du niveau des océans (érosion des côtes, migration climatique…). L’enseignant ou l’enseignante peut ne pas aborder le calcul de l’augmentation du niveau de l’océan et s’en tenir à une discussion sur le résultat de l’équation (7).
Comme il est mentionné au début du texte, si les élèves réalisent que des connaissances en physique sont des outils très utiles pour résoudre des problèmes complexes au sujet de notre environnement, la démarche aura atteint son but.
Labrecque, A. (2018). Hausse du niveau des mers : 2 mètres d’ici 2100. Repéré à https://www.quebecscience.qc.ca/environnement/hausse-du-niveau-des-mers-2-metres-d-ici-2100/
Meier, M.F. et Wahr, J.M. (2002). Sea level is rising: Do we know why? Repéré à https://www.pnas.org/content/99/10/6524
Organisation des Nations Unies (ONU) (2019). Pour sauver la planète, il faut sauver les océans. Repéré à https://news.un.org/fr/story/2019/09/1052512
Perreault, M. (2020). Le déclin des glaciers antarctiques « irréversible ». Repéré à https://www.lapresse.ca/actualites/environnement/2020-09-27/le-declin-des-glaciers-antarctiques-irreversible.php
Svoboda, M. (2019). 12 major climate change reports from 2019. Repéré à https://yaleclimateconnections.org/2019/10/12-major-climate-change-reports-from-2019/
The Earth Observatory (2018). End of the Journey for Iceberg B-15Z? Repéré à https://earthobservatory.nasa.gov/images/92238/end-of-the-journey-for-iceberg-b-15z
Wikipédia (2021). Élévation du niveau de la mer. Repéré à https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89l%C3%A9vation_du_niveau_de_la_mer
Wikipédia (2020). Inlandsis. Repéré à https://fr.wikipedia.org/wiki/Inlandsis
Spectre | Volume 50, numéro 2 | Février 2021
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