Jugement professionnel : comment les encadrements légaux soutiennent-ils le personnel enseignant du secondaire au moment de témoigner du développement des compétences disciplinaires

Bénédicte Boissard, C.S.S. de la Rivière-du-Nord, et Nadine Talbot, Université du Québec à Trois-Rivières 

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Le contexte pandémique et l’annulation des épreuves uniques ont donné l’occasion à plusieurs enseignants et enseignantes d’approfondir leur réflexion quant aux traces d’apprentissages à recueillir pour exercer leur jugement professionnel et établir un bilan. Entre autres, plusieurs se sont demandé : quels sont les éléments observables permettant de juger si un élève est compétent dans le volet pratique ou théorique ? Quelles sont les attentes et comment traduire mon jugement par le biais d’une évaluation ?

Cette situation inhabituelle a amené le personnel enseignant à (re)découvrir les encadrements qui balisent l’évaluation des apprentissages des programmes de science et technologie au secondaire. C’est donc dans l’optique de mieux l’outiller au regard de l’évaluation des apprentissages en science et technologie qu’un guide d’accompagnement a été élaboré.

Le défi de s’approprier les différents documents légaux qui balisent l’évaluation

Pour évaluer les apprentissages prévus au Programme de formation de l’école québécoise (PFEQ), le cadre d’évaluation (CÉ) a été conçu pour prescrire « les balises nécessaires à l'évaluation des apprentissages afin de constituer les résultats des élèves, qui seront transmis à l'intérieur du bulletin unique » (MELS, 2011, p. 3). Alors qu’auparavant, lors de la publication du PFEQ en 2006, trois à quatre critères d’évaluation étaient proposés pour chacune des trois compétences disciplinaires. De quoi rendre perplexe n’importe qui lorsque venait le temps d’inscrire un résultat au bulletin de l’élève.

Contournant le problème de la multiplicité des critères et des composantes propres au PFEQ, le cadre d’évaluation disciplinaire, publié en 2011, est venu regrouper avantageusement les compétences autour de deux volets : le volet théorique et le volet pratique. Ce regroupement permettait, entre autres, d’inclure la compétence Communiquer tant dans le volet théorique que dans le volet pratique.

Or il se trouve qu’en regroupant les trois compétences du PFEQ sous deux volets, certaines composantes et sous-composantes ont été laissées de côté ou, à tout le moins, sont passées sous le radar. Par exemple, pour juger de la capacité à interpréter et à produire des messages à caractères scientifique ou technologique des élèves, certaines sous-composantes, comme Faire preuve de vigilance quant à la crédibilité des sources retenues et Juger de leur pertinence sont absentes du CÉ. Ces composantes ne sont pas associées aux critères et aux éléments observables du CÉ. L’appréciation du travail de l’élève afin de porter un jugement au bulletin ne devra donc pas tenir en compte ces composantes. Ce constat est problématique d’une part, parce que le CÉ régit la façon de communiquer le résultat au bulletin, et d’autre part, parce que le contenu du PFEQ est également prescrit par la loi. En résumé, le CÉ occulte certaines composantes et sous-composantes du PFEQ.

Cette situation pose également problème pour les professeurs, professeures, chargés de cours et chargées de cours en formation initiale, au moment d’expliquer ces deux documents prescrits. D’autre part, pour les enseignants et enseignantes déjà en fonction, cette situation devient complexe au moment d’établir correctement la marge de manœuvre disponible pour exercer leur jugement professionnel.

Une solution : faire correspondre le CÉ et le PFEQ

Pour en arriver à circonscrire ce qui doit faire l’objet de l’évaluation en science et technologie (ST), il a fallu faire correspondre les critères du CÉ avec ceux du PFEQ, et ce, pour chacun des programmes du domaine de la ST au secondaire. Pour chaque observable du CÉ, la sous-composante de la compétence associée a été identifiée dans le PFEQ. La démarche a été répétée pour tous les programmes obligatoires proposés en ST, soit ST 1er cycle, ST 2e cycle, ATS (applications technologiques et scientifiques) 2e cycle, et les cours d’options STE (science, technologie et environnement), SE (science et environnement), chimie et physique. Voir la figure 1 pour un exemple d’appariement CÉ-PFEQ, volet pratique, pour le programme de science et technologie du 1er cycle.

Ce tableau d’appariement a ensuite servi de point de départ pour bâtir des grilles d’appréciation descriptives (figure 2) cohérentes avec les encadrements, ainsi que des listes de vérification. Chacun des échelons est énoncé en fonction des observables du CÉ. La gradation des échelons respecte les niveaux de compétence privilégiés par le Ministère. Cinq niveaux facilitent la correspondance avec les notations littérales usuelles, soit A-B-C-D-E.

En lien avec les grilles d’appréciation descriptives, des listes de vérification permettent à l’élève de s’autoévaluer. Les énoncés de la liste de vérification correspondent au descriptif de l’échelon de niveau de compétence le plus élevé de la grille d’appréciation descriptive, soit une compétence marquée.

Finalement, la figure 4 présente une vue d’ensemble de l’évolution des critères du CÉ à travers les programmes de ST au secondaire et les niveaux d’enseignement. Somme toute, les critères et les observables sont très similaires d’un programme à l’autre.

 

 

L’utilité du guide pour le personnel enseignant

Première fonction : établir la progression verticale des critères

L’évolution des observables d’un cycle à l’autre et d’un programme à l’autre pour chacun des deux volets (figure 4) permet de constater rapidement les critères ou les observables ajoutés dans un programme de formation précis comparativement au programme de science et technologie de 1er cycle. Par exemple, pour encadrer la rédaction des rapports de laboratoire, une équipe-école pourrait utiliser cette proposition pour s’entendre sur les attentes d’un niveau à l’autre afin de faire progresser les élèves de façon cohérente et réaliste.

Deuxième fonction : situer quelques repères théoriques sur l’évaluation des compétences

Quelques repères théoriques aident à mieux comprendre la nature d'une compétence, celle d'une tâche complexe et celles des différentes fonctions de l’évaluation en contexte d’évaluation de compétences. Une compétence étant la capacité à mobiliser les ressources nécessaires à la réalisation d’une tâche, celle-ci ne peut donc être évaluée qu’à l’aide d’une tâche complexe (Scallon, 2004). Une telle tâche devra, entre autres, permettre à l’élève de proposer une solution différente de celle suggérée par un autre élève. Le guide d’accompagnement fournit d’ailleurs, dans sa dernière section, des situations d’apprentissage-évaluation permettant de juger des volets pratique et théorique.

Troisième fonction : proposer des grilles d’évaluation descriptives

Les grilles d’appréciation descriptives sont proposées dans le guide pour chacun des critères d’évaluation et leurs observables du CÉ. Chacune des grilles permet d’évaluer le niveau de compétence atteint pour la globalité de la compétence. Toutefois, il n’est pas nécessaire ni même souhaitable d’évaluer tous les critères à la fois pour une tâche. Il est possible, dans l’esprit de l’alignement pédagogique, de choisir les critères et leurs manifestations observables selon les intentions pédagogiques établies au départ. Par exemple, si une tâche ne permet pas de formuler une hypothèse (comme dans le cas d’une devinette), ce critère devra être exclu de sa grille d’appréciation tout en conservant ceux ayant trait à l’élaboration d’un protocole ou d’une cueillette de données.

Quatrième fonction : proposer des listes de vérification

En lien avec les fonctions d’aide à l’apprentissage, les listes de vérification indiquent clairement à l’élève ce qui sera évalué dans la tâche complexe. Ce dernier pourra lire les critères d’évaluation et prendre connaissance de la description de ce que représente un travail de qualité. L’élève sait donc exactement ce qui est attendu de lui. La liste de vérification peut aussi être utilisée pour une coévaluation enseignant(e)-élève, une coévaluation élève-pairs ou encore pour une évaluation par les pairs. Au fil du temps, cette façon de faire permet à l’élève de s’autoréguler et de s’autoévaluer au regard des critères disciplinaires et de se responsabiliser quant aux apprentissages à réaliser.

Les avantages des grilles d’appréciation descriptives

L’utilisation de ce type de grilles offre une rétroaction à l’élève en lien avec les attentes visées. La nécessité de rétroaction personnalisée à chaque élève diminue, puisqu’une grande part de celle-ci est déjà donnée par les descriptifs dans les grilles.

Grâce à la rétroaction par les grilles d’appréciation descriptive, l’élève sait ce qui est clairement attendu et ce qu’il doit faire pour atteindre le niveau de compétence ciblé. Tant l’élève que l’enseignant ou l’enseignante peuvent observer l’évolution du développement de chaque sous-composante de la compétence et par extension de la compétence globalement. L’utilisation d’une grille d’appréciation descriptive est tout indiquée pour évaluer les compétences développées par l’élève.

L’évaluation d’une compétence réalisée à l’aide d’une tâche complexe ne peut être jugée au moyen de l’attribution de points pour des éléments de réponse corrects ou erronés. En effet, puisque chaque tâche complexe peut avoir plus d’une solution, attribuer des points pour des éléments précis de la réponse devient difficile, voire infaisable. Ainsi, la notation chiffrée, tel un pourcentage, perd de sa nécessité, puisqu’une compétence ne peut pas être développée, par exemple, à 70 %. Parce qu’une compétence est évolutive et jamais développée à 100 %, à chaque nouvelle situation d’évaluation, l’élève devra mobiliser différemment ses ressources et parfois recourir à des ressources différentes.  

Pour une évaluation représentative des apprentissages

Les grilles et les autres outils du guide établissent une base et un langage communs relativement à l’évaluation des apprentissages en ST. S’il est vrai que plusieurs centres de services scolaires ont proposé par le passé des exemples de grilles descriptives, aucune ressource ne semble les regrouper dans un seul outil. D’ailleurs, le milieu scolaire exprime depuis plusieurs années le besoin d’un seul et unique document pour s’y retrouver dans l’ensemble des documents ministériels.

Puisque l’évaluation des apprentissages est une compétence exclusive du personnel enseignant, il convient de s’assurer de la formation continue et d’un accompagnement des enseignants et des enseignantes en matière d’évaluation. Afin que l’évaluation des compétences des élèves concorde avec les exigences ministérielles et respecte l’alignement pédagogique, le guide d’accompagnement en évaluation des apprentissages en science et technologie, disponible sur le site de l’AESTQ, offre des outils pour faciliter la tâche de l’enseignant ou de l’enseignante lors de l’évaluation des apprentissages. L’alignement pédagogique respecté, le jugement porté au bulletin sera plus représentatif du niveau de compétence développé par l’élève.

En revisitant les CÉ et le PFEQ, en proposant des tâches complexes destinées à mobiliser des ressources en contexte, et en fournissant des grilles d’appréciation descriptive pour donner une rétroaction efficace, l’enseignant ou l’enseignante de ST se retrouve mieux outillé pour exercer son jugement professionnel. Enfin, grâce aux listes de vérification, l’enseignante ou l’enseignant pourra responsabiliser l’élève dans ses apprentissages en lui permettant, notamment, de s’autoévaluer.

Références

Ministère de l’Éducation. (2006). Programme de formation de l’école québécoise : Domaine de la mathématique, de la science et de la technologie. Science et technologie. Premier cycle du secondaire. Gouvernement du Québec. http://www.education.gouv.qc.ca/fileadmin/site_web/documents/PFEQ/prfrmsec1ercyclev2.pdf

Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport. (2011). Cadre d’évaluation - Science et technologie - Secondaire - Premier Cycle. Gouvernement du Québec. http://www.education.gouv.qc.ca/fileadmin/site_web/documents/education/jeunes/pfeq/CE_PFEQ_science-technologie-premier-cycle-secondaire_2011.pdf

Scallon, G. (2004). L'évaluation des apprentissages dans une approche par compétences.Éditions du renouveau pédagogique inc.

Suggestions de lecture

Côté, F. (2014). Construire des grilles d’évaluation descriptives au collégial : guide d’élaboration et exemples de grille. Presses de l’Université du Québec.

Earl, L. M. (2013). Assessment as learning: Using classroom assessment to maximize student learning. Corwin Press, inc.