Difficultés de l’enseignement de la circulation sanguine.

Conception des élèves et stratégie d’enseignement intégrant l’histoire des sciences

Afef Henchiri et Fathi Matoussi, Institut supérieur de l’éducation et de la formation continue, Université de Tunis 
 

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Difficultés de l'enseignement de la circulation sanguine - Conception des élèves et stratégie d'enseignement intégrant l'histoire des sciences 

Afef Henchiri et Fathi Matoussi, Institut supérieur de l'éducation et de la formation continue, Université de Tunis  

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Introduction 

La circulation sanguine est un thème présent dans différents niveaux de l’enseignement. Cet article vise, d’une part, à rapporter les principales difficultés liées à l’enseignement-apprentissage de la circulation sanguine au niveau collégial et à caractériser l’ensemble des conceptions et des obstacles des élèves en s’appuyant sur des recherches en didactique.

D’autre part, il s’agit d’analyser l’histoire de la circulation sanguine en vue de souligner les principales difficultés rencontrées par les scientifiques et d’inférer les apports potentiels de l’intégration de l’histoire des sciences dans l’enseignement.

Difficultés liées à l’enseignement de la circulation sanguine

La circulation sanguine est un concept biologique complexe. Il tient sa complexité du fait qu’il articule d’autres concepts biologiques tels que la nutrition et la respiration.

Les difficultés de l’enseignement de la circulation sanguine peuvent être dues à une approche empiriste soutenue par l’enseignant ou l’enseignante. L’enseignement de ce concept est basé sur des activités d’observations qui ne permettraient pas d’appréhender la circulation sanguine.

En effet, le fait de demander par exemple aux élèves de serrer le poignet gauche avec la main droite pour concevoir les pulsations pourrait maintenir l’obstacle épistémologique susceptible de renforcer l’idée d’une circulation en superficie au détriment de la connaissance d’une circulation au niveau des organes internes (Astolfi & Peterfalvi, 1993).

Pautal (2012) a identifié un certain nombre d’obstacles didactiques et des difficultés, en liaison avec l’apprentissage de la circulation sanguine, que nous détaillons dans les paragraphes ci-dessous. 
La difficulté de concevoir que le sang est canalisé est liée à l’observation de saignement du sang après une blessure qui laisse penser que le sang existe directement de façon diffuse sous la peau. De plus, les vaisseaux sanguins sont réduits aux veines directement visibles par transparences. Ceci s’explique par le primat de la perception sur la conceptualisation (Astolfi et Peterfalvi, 1993).

L’obstacle de l’irrigation sans retour et le rôle mécanique du cœur réside dans l’idée que le trajet du sang se fait selon un modèle de type irrigation qui se traduit par un trajet avec un aller simple du sang vers les organes (Lhoste, 2006). Par ailleurs, Rumelhard (1997) relève que le vocabulaire prolonge cet obstacle quand on dit par exemple que les organes sont irrigués en reprenant l’analogie agricole de l’irrigation. 
Seulement, la notion de système clos qui nécessite l’idée que le sang est endigué dans des tuyaux : veines, artères, et capillaires peut induire la personne en apprentissage en erreur. En effet, ce dernier peut faire des analogies entre les tuyaux d’usage courant et les vaisseaux sanguins ce qui constitue un obstacle à construire la notion de surface d’échange. (Sauvageot-Skibine, 1993).

En effet, l’obstacle du tuyau continu à paroi imperméable, décrit par Pautal (2012), est responsable de la difficulté de concevoir que la paroi des conduits biologiques soit perméable. Cet obstacle se traduit chez l’apprenant ou l’apprenante par une difficulté de concevoir qu’une surface soit protectrice et perméable au même temps tel que les intestins, les vaisseaux et la peau.

Des travaux en didactique réalisés par Pautal (2012), Giordan et Martinand (1987), et Gellert (1962), ont permis de dégager d’autres conceptions et difficultés dans l’appréhension de la circulation sanguine. En effet, il y a des difficultés à appréhender la relation entre le diamètre des vaisseaux sanguins et leurs fonctions : les veines et les artères ont des diamètres plus gros parce qu’ils ont une fonction de transport et les capillaires sanguins ont des diamètres plus petits parce qu’ils ont une fonction d’échange.

Au niveau collégial, les élèves ont des difficultés à faire le lien entre le système circulatoire et le système respiratoire. Les élèves conçoivent que ce sont les poumons qui font un tri entre oxygène et le dioxyde de carbone , «  les poumons gardent l’oxygène de l’air,  ils rejettent le gaz carbonique »( Giordan  et Martinand, 1987, p.146).Ceci traduit une difficulté de faire le lien entre ce qui est macroscopique externe lié à l’organe (la respiration pulmonaire) et ce qui est microscopique interne (les échanges gazeux) qui se déroulent au niveau cellulaire.

Gellert (1962), soulève une autre difficulté qui se traduit par le fait que les apprenants ou apprenantes donnent au cœur un rôle de pompe et laissent aux vaisseaux un rôle passif de canaux. Ainsi, c’est le cœur seul qui détermine le flux sanguin et le retour de sang est toujours absent du cadre conceptuel des adolescents et adolescentes. C’est une conception selon laquelle le débit cardiaque n’est pas influencé par la résistance vasculaire.

Similitudes entre les conceptions des anciens savants et conceptions des élèves sur la circulation sanguine 

L’histoire des sciences nous enseigne qu’il a fallu plusieurs étapes pour pouvoir arriver à la complétude du concept de la circulation sanguine et arriver à la conception scientifique actuelle. Ainsi, pour construire les concepts scientifiques en rapport avec la circulation sanguine, les anciens savants ont connu plusieurs difficultés traduisant des conceptions erronées similaires à celles enregistrées aujourd’hui chez les apprenants et apprenantes. Une lecture croisée de l’évolution historique des concepts de la circulation sanguine (Tobelem, 2013) et les conceptions des élèves nous permet de construire le tableau 1 ci-dessous qui résume les similitudes entre les conceptions actuelles des élèves et celles des anciens savants. Apport de l’enseignement de l’histoire des sciences 

De nombreux auteurs comme Bachelard (1938), Kuhn (1977), Kassou et Souchon(1992)  et Mayrargue et Savaton (2006) ont souligné l’importance de l’enseignement de l’histoire des sciences.
En effet, l’enseignement de l’évolution historique d’un concept scientifique peut être fructueux pour les élèves notamment ceux d’ordre collégial : « l’enseignement de l’histoire d’un concept permet de confronter l’élève à certains obstacles épistémologiques et de revivre dans le processus de construction des connaissances.» (Matoussi et Metioui. 2013, p.176)

Ainsi, l’enseignement de l’histoire de l’évolution des concepts de la circulation sanguine et les origines des difficultés vécues par les anciens savants peuvent susciter l’apprenant à entrer dans une démarche réflexive qui, probablement lui permet de réfléchir à ses erreurs et mettre en cause ses conceptions erronées.
L’enseignement de l’histoire d’un concept scientifique donne à l’apprenant ou à l’apprenante une idée sur le dynamisme de la science. Il s’agit de comprendre que les savoirs se constituent dans un processus d’aller-retour entre l’erreur et l’exactitude, ce qui éloigne les apprenants et apprenantes de l’idée de dogmatisme de la science et assiste chez eux l’idée que toute théorie scientifique est réfutable. 

Tableau 1. Similitudes entre conceptions des élèves et conceptions historiques des savants
Conceptions des anciens savants  Conceptions des élèves
Modèle circulation à sens unique pour irriguer les organes du corps avant l’apparition du modèle de Harvey 1628 Conception de l’irrigation sans retour 
Modèle de circuit ouvert avant la découverte des capillaires sanguins par Malpighi   Le circuit sanguin est ouvert
Modèle de Galien : le sang est aspiré par le cœur pendant la diastole provoquant un phénomène de flux et reflux Conception de circulation à double sens 
Avant Harvey, les scientifiques ne distinguaient les veines des artères Difficulté de concevoir la différence entre les veines et les artères
Selon Galien, le sang circule par les veines et va, d’une part, vers les poumons pour se mélanger avec de l’air et, d’autre part, du ventricule droit au ventricule gauche par la paroi poreuse où il prélève la chaleur qu’il redistribue dans le corps     Conception : le cœur agit comme une pompe et non comme une double pompe
Conception d’Aristote qui donne au cœur et aux vaisseaux sanguins un rôle de simple distribution. Conception liée au rôle passif des vaisseaux sanguins dans la distribution du sang.


Proposition de stratégie d’enseignement

En classe, le travail sur les conceptions des élèves pourrait se faire par l’organisation d’un débat argumentatif autour d’un texte historique qui permettrait de dévoiler les conceptions de chacun des élèves. En effet, Astolfi et Peterfalvi (1993) considèrent que l’évolution conceptuelle doit commencer par une prise de conscience par les élèves de leurs conceptions et celles de leurs pairs.

D’après Fabre et Orange (1997), le débat est un moment de travail sur les conceptions des apprenants et apprenantes, grâce aux conflits cognitifs et socio-cognitifs qu’il génère.

Par ailleurs, nous proposons un débat articulé avec l’analyse d’un texte sur l’évolution historique des concepts de la circulation sanguine.

La critique des différents contributions et théories des anciens savants permet aux personnes apprenantes de diagnostiquer les différentes erreurs. Un débat sur l’origine de ces erreurs (interdiction de la dissection par exemple), ou bien une analyse comparative entre les théories des anciens savants et les théories récentes de la circulation sanguine permettrait aux apprenants et apprenantes, au sein d’un débat, de mieux comprendre les concepts liés à la circulation sanguine.     

En effet, «l’examen critique des idées a pour but d’aider les élèves à oser exprimer leurs idées personnelles pour les soumettre à la discussion, à accepter les propositions des autres pour en débattre et à construire ensemble une nouvelle connaissance.» (Schneeberger et Vérin , 2009, p. 62)  

Conclusion 

L’enseignement-apprentissage de la circulation sanguine reconnait certaines difficultés liées principalement aux conceptions des personnes en apprentissage.  Nous citons sans prétendre à l’exhaustivité, la difficulté de concevoir que le sang est canalisé, la difficulté de concevoir qu’une surface protectrice soit perméable et la difficulté de faire le lien entre le système circulatoire et le système respiratoire. La ressemblance entre les conceptions actuelles des apprenants et des apprenantes et celles des anciens savants permet de proposer des séquences d’enseignement-apprentissage construite autour de l’intégration de l’histoire des sciences dans l’enseignement. En effet l’étude d’un texte historique ou un débat argumentatif autour d’un fait historique serait favorable à la construction des connaissances chez les apprenants et les apprenantes.

Références 

Astolfi,  J.P., Peterfalvi, B. (1993). Obstacles et construction de situations didactiques en sciences expérimentales. Aster, 16, p. 103-141. 

Bachelard, G., La formation de l’esprit scientifique, Paris : Vrin. 1938.  

Fabre, M., & Orange, C. (1997). Construction des problèmes et franchissement d’obstacles. Aster, 24, 37-58.
Gellert, E. (1962). Children’s conceptions of the content and functions of the human body. Genetic Psychology Monographs. 65, 293-305.

Giordan,A.et Martinand,JL. (éd), (1987). Modèles et simulation, Actes JIES 9. 

Harvey, W. (1869, 1990). De motu cordis. Christian Bourgois Éditeur

Kuhn, T., La tension essentielle. Paris : Gallimard. (1977).

Lhoste, Y. (2006). La construction du concept de circulation sanguine en 3ème : problématisation, argumentation et conceptualisation dans un débat scientifique. Aster, 42, p.79-108.

Matoussi, F &. Métioui, A. (2013). Apports de l’histoire de la biologie et de l’histoire des sciences dans l’enseignement au secondaire. Le cas de l’enseignement de la photosynthèse. In Métioui, A., Samson, G., & Lequin, YV., (2013). De l’histoire pour enseigner les sciences !  Ed. Pôle éditorial de l’université de technologie de Belfort-Montbeliard.

Mayrargue, A. et Savaton, P., « Quels liens entre l’histoire des sciences, l’épistémologie et la didactique des disciplines ? », Tréma, 26. (2006), mis en ligne le 04 mars 2010, Consulté le 2 février 2022. URL : http://trema.revues.org/98

PAUTAL É. (2012). Enseigner et apprendre la circulation du sang : analyse didactique des pratiques conjointes et identification de certains de leurs déterminants. Thèse de doctorat, Toulouse : université de Toulouse 2. 

Rumelhard, G. (1997). Obstacles : travail didactique. Aster, 24, p. 13-35. 

Sauvageot-Skibine, M. (1993). De la représentation en tuyaux au concept de milieu intérieur. Aster, 17, p. 189-204.

Schneeberger, P., & Vérin, A. (Dir.) (2009). Développer des pratiques d’oral et d’écrit en sciences: quels enjeux pour l’apprentissage à l’école? Lyon: INRP.

Tobelem, G. (2013). Histoire du sang. Paris : PERRIN.