Camille Binggeli, Université du Québec à Trois-Rivières
Aurélie Gauthier-Houle, Cégep de Saint-Laurent, Dominic Haché, Centre de services scolaire Marguerite-Bourgeoys (CSSMB), Frédéric Prud’Homme, CSSMB, Hélène Mathieu, acceSciences, RCM et Mathieu Dubreuil-Cousineau, CSSMB
Conseil d'administration du Fonds du Prix annuel de l'AESTQ
Geneviève Allaire-Duquette, Université de Sherbrooke et Pierre Chastenay, Université du Québec à Montréal
La culture scientifique de la population repose non seulement sur les établissements d’enseignement, mais également sur les milieux d’éducation non formels, comme les musées et les organismes de loisir scientifique, ainsi que sur les médias. Or, tous ces milieux auraient avantage à coordonner leurs forces pour exercer une influence plus marquée. C’est justement dans le but de créer des liens entre eux que s’est tenue le 29 avril dernier une table ronde virtuelle (pandémie oblige) sur le sujet. Voici un compte rendu de ces échanges pertinents.
À l’invitation de l’Équipe de recherche en éducation scientifique et technologique (EREST) et du Centre d’étude sur l’apprentissage et la performance (CEAP), tous deux de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), nous avons assisté à cette table ronde. L’évènement a réuni des chercheurs en didactique, des professionnels de l’éducation, des responsables de musée ainsi que des journalistes et communicateurs scientifiques. La question à laquelle tous étaient conviés : « Quels sont selon vous les enjeux les plus cruciaux pour favoriser une éducation scientifique de qualité de la population ainsi que les solutions que vous privilégiez dans votre pratique? »
Pour répondre à cette question étaient invitées les personnalités suivantes.
Et pour réagir aux propos des panélistes étaient présentes les personnes suivantes.
Il est difficile de résumer ces deux heures, tant les échanges ont été riches et nombreux. Fait à remarquer, nous avons assisté à peu de débats d’idées. Les enjeux soulevés et les solutions proposées ont semblé faire consensus chez la plupart des personnes participantes. Nous vous présentons ici les solutions mises de l’avant par les panélistes.
Dire que les jeunes de moins de 30 ans ne s’informent pas dans les médias traditionnels ne surprend plus personne. Nous savons depuis longtemps que les médias sociaux constituent leurs principales sources d’information. Mais encore faut-il savoir quels sont ces médias. De plus, l’utilisation des différents médias sociaux varie selon l’âge. Savoir où et comment les jeunes s’informent permettrait de mieux cibler le message.
Le recours aux médias sociaux comme principaux véhicules d’information pose de nombreux enjeux de validité des sources. Les panélistes ont reconnu un énorme besoin d’éducation à la citoyenneté numérique, tant chez les jeunes que dans la population en général. Comprendre les biais induits par les médias sociaux ainsi que les mécanismes de la désinformation est un enjeu majeur actuellement. Rémi Quirion s’est dit particulièrement préoccupé par la situation actuelle.
Selon plusieurs panélistes, la perception du scientifique comme étant seul détenteur de la connaissance est très largement répandue dans la population. Cela contribue à un certain cynisme envers les scientifiques alors qu’aujourd’hui les connaissances évoluent rapidement et, par conséquent, peuvent paraitre changeantes, voire peu fiables. Pour modifier cette perception, plusieurs personnes participantes ont proposé de mettre de l’avant la démarche qui a mené aux résultats et non seulement les résultats eux-mêmes. « Il faut montrer que la science est évolutive, pas dogmatique », a lancé Marianne Bissonnette.
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« La science est tellement fabuleuse, tellement l’fun, tellement créative; ce message devrait être mieux rendu aux jeunes »Rémi Quirion, Scientifique en chef du Québec |
Selon Patrice Potvin, les résultats doivent être présentés comme différentes propositions accompagnées d’un certain niveau de preuve. La population devrait être en mesure de s’assurer de la fiabilité des sources, de faire ses recherches et d’évaluer le pourcentage de certitude d’un résultat. « Il faut éviter d’exiger de faire confiance aveuglément aux scientifiques comme aux pseudoscientifiques. On a besoin d’esprit critique », a affirmé Audrey Groleau. Pour Olivier Grant, les gens ont tout ce qu’il faut pour montrer un esprit critique. Ils cherchent la nuance, la vérité et ne veulent pas être mal informés. « Mais le problème, c’est d’intéresser les gens aux réponses plus complexes », a-t-il avancé.
Justement, Valérie Borde a proposé une piste originale pour intéresser davantage la population aux enjeux scientifiques. Depuis quelque temps, elle invite des scientifiques à donner des conférences dans des lieux publics, comme des festivals, des bibliothèques ou des salons d’exposition. L’idée est de parler de science comme on parle d’autre chose, en public, sans décorum. Et selon elle, ça fonctionne très bien. Son secret? « La manière de raconter les histoires est fondamentale pour maintenir l’intérêt », a-t-elle mentionné. Il faut également partir des centres d’intérêt des gens. Elle accompagne les scientifiques afin qu’ils communiquent correctement avec le public. Elle a invité les scientifiques à mieux vulgariser, à mieux communiquer.
Olivier Bernard semblait parfaitement en accord avec cette dernière proposition. Le populaire vulgarisateur a témoigné de son grand désarroi à l’égard des adeptes des pseudosciences. Il aurait aimé que sa formation initiale le prépare mieux à la pensée critique, aux biais cognitifs et à l’épistémologie. Il a également déploré que les scientifiques soient peu au fait de la recherche en communication, un manque important selon lui.
Du côté de l’éducation formelle, Pierre Chastenay a rappelé le manque de formation en didactique des sciences du personnel enseignant du primaire. La recherche démontre un réel désengagement de celui-ci envers l’enseignement de la science et de la technologie. Souvent, les quelques heures qui y sont consacrées deviennent des activités de lecture et d’écriture dont la science est le prétexte. De plus, la pédagogie du manuel renforce la croyance selon laquelle la science est sclérosée, dogmatique, et ce, dès le plus jeune âge.
Selon lui, la solution passe par une meilleure formation initiale et par un accompagnement en formation continue afin d’améliorer les pratiques. Il faut accorder une plus grande place à la démarche scientifique et à la communication des résultats en classe. Cela permettrait du même coup le développement de l’esprit critique des jeunes. Cependant, Pierre Chastenay s’oppose à l’idée d’avoir recours à des spécialistes au primaire. Selon lui, une période de 50 minutes par semaine ne permettrait pas aux élèves de réaliser de véritables démarches d’investigation ni de profiter de projets multidisciplinaires.
Pour Olivier Grant, l’éducation muséale doit être complémentaire au travail du personnel enseignant. Il croit que les musées peuvent avoir un impact sur le développement des compétences citoyennes. Il se questionne cependant à savoir « comment arriver à être encore plus complémentaire, à s’éloigner de la posture de l’expert qui débarque dans la classe du primaire ». Il a aussi déploré la difficulté d’attirer les enseignants et enseignantes du secondaire dans les musées, pris dans le carcan de la Progression des apprentissages. Pierre Chastenay, quant à lui, encourage les musées à être encore plus interactifs et propose d’exploiter leurs milieux afin de faire vivre de réelles démarches d’investigation et, pourquoi pas, de faire participer les jeunes à la cueillette de donnée par des observations, par exemple.
La formation scientifique des journalistes n’est souvent pas suffisante. C’est l’avis de Catherine Crépeau. La pandémie a mis la recherche en santé à l’avant-plan de l’actualité. Au cours de la dernière année, les journalistes ont dû parfaire rapidement leurs connaissances sur la virologie et sur les mécanismes de publication des résultats de recherche, par exemple. De plus, des sites comme Le détecteur de rumeurs ou celui de l’émission Décrypteurs offrent aujourd’hui une nouvelle forme de journalisme qui invite les citoyens à développer leur esprit critique.
« L'épreuve unique oblige les profs à faire des raccourcis intellectuels, à ensienger pour réussir l'examen.»Patrice Potvin, Professeur et chercheur en didactique des sciences |
Le président de notre association, Dany Gravel, a quant à lui profité de sa tribune pour dénoncer le fait qu’une liste de concepts précis à maitriser, une épreuve unique et la comparaison des résultats sont des obstacles au développement de la culture scientifique. Cela contribue à donner une vision statique de la science. Il a observé une grande baisse d’intérêt et de curiosité envers les sciences, de la première à la dernière année du secondaire. L’enseignant a demandé aux panélistes comment nous pourrions faire pour nous sortir de ce dictat de la note. Patrice Potvin a répondu que « l’épreuve unique oblige les profs à faire des raccourcis intellectuels, à enseigner pour réussir l’examen ». Comme plusieurs autres panélistes, il était d’accord pour dire qu’il faudrait mettre fin aux épreuves de fin d’année et laisser ainsi une plus grande latitude aux enseignants et aux enseignantes pour travailler sur des activités et des projets. Bref, encore une fois, une meilleure cohérence entre le programme et l’évaluation est souhaitée.
Pour Patrice Potvin, les résultats de recherche en didactique devraient influencer davantage les stratégies d’enseignement en science et technologie. Il a expliqué le concept de changement conceptuel. Selon cette théorie, l’arrivée d’une nouvelle conception ne supprime pas la conception initiale, elle se superpose à celle-ci. Des recherches en neuroéducation auraient en effet démontré que les experts et les expertes doivent d’abord inhiber la conception initiale pour accéder à la nouvelle (bonne) conception. Cela expliquerait d’ailleurs la ténacité des faits alternatifs ou des pseudosciences. Alors que la stratégie du conflit cognitif est encore très largement utilisée en classe de science, une démarche mettant en contraste les conceptions coexistantes serait pourtant plus efficace. Les médias auraient également tout avantage à prendre en compte la théorie des changements conceptuels dans leur bataille contre les théories du complot.
La rencontre n’aura pas permis de régler toutes les questions de l’éducation scientifique et technologique au Québec, et ce n’était pas l’objectif de l’évènement. Cependant, les participants et les participantes se sont entendus pour faire ressortir les principaux enjeux et ont également proposé des pistes de solutions porteuses. Toutefois, une des retombées les plus importantes de cette rencontre demeurera l’établissement de ponts entre le monde des communications, celui de l’éducation formelle et celui de l’éducation non formelle. Souhaitons que cette nouvelle synergie puisse contribuer à l’amélioration de la culture scientifique québécoise. En ces temps de désinformation omniprésente, cette alliance ne pourra être que profitable.